Jeter ce qui nous appartient est un crève-cœur pour nombre d’entre nous. Mais pour certains, ce n’est même pas envisageable : ils accumulent de manière compulsive les objets (sans les utiliser), indépendamment de leur fonction ou de leur valeur. Pour celles et ceux qui souffrent de ce trouble baptisé syllogomanie, impossible de se séparer de quoi que ce soit. Résultat, des dizaines de vêtements abîmés ou démodés toujours leur garde-robe, des liasses de tickets de caisse dans le sac à main, une montagne de magazines et de journaux décolorés, des cartons sens dessus dessous, de vieux bulletins scolaires, neuf louches dans la cuisine, des centaines de livres qui s’empilent – du mode d’emploi d’un lecteur CD au dernier mauvais polar lu, en passant par des encyclopédies abandonnées par l’ancien propriétaire, jamais ouvertes. Les choses s’amoncellent pendant que les murs du domicile ne s’agrandissent pas. Ne parlons même pas de la cave pleine à craquer d’objets délaissés mais jamais lâchés pour de bon...
Attention, la syllogomanie, inscrite en 2013 dans la dernière version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, ne doit pas être confondue avec la collection, ni avec le lien émotionnel qu’on entretient avec une chose : on peut collecter les timbres ou les bouchons de champagne (pourquoi pas si cela rend heureux ?), ou conserver un objet de valeur sentimentale, comme ce vieux tee-shirt auquel on est attaché depuis sa folle jeunesse, sans que cela devienne un problème spécifique. « On parle de syllogomanie dès lors que ce comportement entraîne une souffrance : la personne se voit contrainte de garder les objets, sinon elle en pâtit sévèrement, assure le médecin. La syllogomanie s’apparente le plus souvent à un trouble obsessionnel compulsif (TOC), mais elle peut également être le symptôme de pathologies psychotiques comme la schizophrénie, ou de troubles mentaux tels que la démence ou la maladie d’Alzheimer. » A titre d'exemple, un adulte sur cinq souffrant d’un trouble de déficit de l'attention/hyperactivité (TDAH) souffre aussi de syllogomanie, selon une étude publiée en janvier 2022.
C’est pourquoi les objets qu’on a tendance à garder sont si souvent « reliés à des souvenirs », comme ces tickets de concerts qu’on veut à tout prix garder pour ne pas oublier ces précieux moments. Ou encore, moins joyeux et plus envahissants, ces cartons d’affaires appartenant à des parents décédés qu’on ne peut se résoudre à jeter car « s’en séparer, c’est faire mourir un peu plus son père ou sa mère, c’est abandonner une partie de soi, encore une fois ». A noter que ce n’est pas seulement l’empreinte du passé qui se cache dans les objets : on les conserve aussi « au cas où on en aurait besoin dans le futur », comme ces journaux qu’on empile parce qu’on prévoit d’y lire les articles qui nous intéressent incessamment sous peu. « Jeter, c’est exclure à tout jamais la possibilité de le faire », résume la spécialiste.
Autre cause identifiée par la psy : l’histoire personnelle de chacun, semée d’embûches qui ont participé à faire naître cette tendance à l’accumulation. « Une longue période de difficultés financières ou l’expérience de la guerre, par exemple, peut amener la personne à développer une peur intense de manquer, et donc la manie de conserver tout et n’importe quoi », observe Catherine Aimelet-Périssol. Le problème, selon elle, c’est que « les gens s’arrêtent à cette angoisse de manquer, comme si c’était l’origine de leur trouble, alors qu’ils doivent prendre conscience que cette peur est en réalité la conséquence de leur habitude de ne pas jeter : plus on garde, plus on est terrorisé à l’idée de manquer ». C’est le serpent qui se mord la queue ! Prenons une mère qui conserve en l’état la chambre de sa fille partie subitement de la maison : elle aura un petit shoot de satisfaction chaque fois qu’elle entrera dans la pièce, car pleine de bons souvenirs, mais elle entretiendra le désespoir d’avoir « perdu » son enfant. « A terme, c’est contre-productif ! »
« Procéder par étapes, de la manière la plus rationnelle possible, peut être une solution, abonde la psychothérapeute Catherine Aimelet-Périssol. Commencer par jeter les objets qui sont, à vos yeux, moins vitaux que les autres, jusqu’à se mettre en tête de conserver, par exemple, uniquement "ce qui est beau et utile". » Mais plus facile à dire qu’à faire, car « la raison est rarement suffisante, du fait de l’attachement émotionnel à l’objet ». Un des meilleurs moyens, d’après elle, consiste à détourner son attention. « Une patiente, peintre, emportait avec elle, à chaque déménagement, une dizaine de cartons d’objets accumulés au fil des décennies. Résultat, elle n’arrivait même plus à accrocher ses tableaux. Je lui ai donc imposé qu'à la prochaine séance, elle aurait accroché au moins trois de ses œuvres. Ce qu’elle a fini par faire, jetant dans la foulée une partie des cartons... Ce que j’ai fait ? J’ai détourné son attention sur un acte secondaire à l'acte de jeter, afin de sortir de l’attachement émotionnel et d’entrer dans l’action. C’est une clé comportementale qui fonctionne partout : le système nerveux ne supporte pas d’être privé de quelque chose, mais supporte très bien que ce quelque chose soit remplacé. » Avant de vouloir jeter les piles de magazines qui encombrent votre salon, vous pouvez ainsi tenter d’acheter d'abord une jolie plante verte qui vous incitera... à faire de la place chez vous !
Un facteur d’isolement psycho-social
« Ça peut être tout et n’importe quoi ! Des objets en tout genre, encombrants, inutiles, voire dangereux, explique le psychiatre Jérôme Palazzolo, auteur de Je me libère de mes phobies (éd. Puf, 2016). L’espace vital de la personne finit par être saturé, affectant sa vie sociale au quotidien : elle n’accueille plus personne chez soi et ne se rend plus chez les autres, de peur de devoir ensuite inviter en retour... C’est un facteur d’isolement majeur. » Dans le pire des cas, la syllogomanie (du grec ancien « súllogos », ou rassemblement) peut même aller « jusqu’au syndrome de Diogène, c’est-à-dire que la personne ne jette même plus ses détritus, néglige son hygiène et finit par vivre dans des conditions insalubres ».Attention, la syllogomanie, inscrite en 2013 dans la dernière version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, ne doit pas être confondue avec la collection, ni avec le lien émotionnel qu’on entretient avec une chose : on peut collecter les timbres ou les bouchons de champagne (pourquoi pas si cela rend heureux ?), ou conserver un objet de valeur sentimentale, comme ce vieux tee-shirt auquel on est attaché depuis sa folle jeunesse, sans que cela devienne un problème spécifique. « On parle de syllogomanie dès lors que ce comportement entraîne une souffrance : la personne se voit contrainte de garder les objets, sinon elle en pâtit sévèrement, assure le médecin. La syllogomanie s’apparente le plus souvent à un trouble obsessionnel compulsif (TOC), mais elle peut également être le symptôme de pathologies psychotiques comme la schizophrénie, ou de troubles mentaux tels que la démence ou la maladie d’Alzheimer. » A titre d'exemple, un adulte sur cinq souffrant d’un trouble de déficit de l'attention/hyperactivité (TDAH) souffre aussi de syllogomanie, selon une étude publiée en janvier 2022.
Une habitude avant d’être un trouble
Mais comment en vient-on à accumuler ainsi ? Pourquoi est-ce si difficile de se débarrasser de ce qui nous encombre ? « Avant de devenir un TOC, c’est d’abord une habitude, relève la psychothérapeute Catherine Aimelet-Périssol, coauteure du livre Emotions : quand c’est plus fort que moi (éd. Leduc, 2019). Cela part d’un impératif de conservation, naturellement ancré en chacun de nous : la nécessité de conserver la vie, sa vie. Or, ici, le moyen trouvé pour s’auto-conserver – et donc se sentir bien dans sa peau – est de garder les choses qui participent à son existence, qui font se sentir vivant. A la valeur sentimentale se greffe une valeur existentielle, quasi vitale. »C’est pourquoi les objets qu’on a tendance à garder sont si souvent « reliés à des souvenirs », comme ces tickets de concerts qu’on veut à tout prix garder pour ne pas oublier ces précieux moments. Ou encore, moins joyeux et plus envahissants, ces cartons d’affaires appartenant à des parents décédés qu’on ne peut se résoudre à jeter car « s’en séparer, c’est faire mourir un peu plus son père ou sa mère, c’est abandonner une partie de soi, encore une fois ». A noter que ce n’est pas seulement l’empreinte du passé qui se cache dans les objets : on les conserve aussi « au cas où on en aurait besoin dans le futur », comme ces journaux qu’on empile parce qu’on prévoit d’y lire les articles qui nous intéressent incessamment sous peu. « Jeter, c’est exclure à tout jamais la possibilité de le faire », résume la spécialiste.
Autre cause identifiée par la psy : l’histoire personnelle de chacun, semée d’embûches qui ont participé à faire naître cette tendance à l’accumulation. « Une longue période de difficultés financières ou l’expérience de la guerre, par exemple, peut amener la personne à développer une peur intense de manquer, et donc la manie de conserver tout et n’importe quoi », observe Catherine Aimelet-Périssol. Le problème, selon elle, c’est que « les gens s’arrêtent à cette angoisse de manquer, comme si c’était l’origine de leur trouble, alors qu’ils doivent prendre conscience que cette peur est en réalité la conséquence de leur habitude de ne pas jeter : plus on garde, plus on est terrorisé à l’idée de manquer ». C’est le serpent qui se mord la queue ! Prenons une mère qui conserve en l’état la chambre de sa fille partie subitement de la maison : elle aura un petit shoot de satisfaction chaque fois qu’elle entrera dans la pièce, car pleine de bons souvenirs, mais elle entretiendra le désespoir d’avoir « perdu » son enfant. « A terme, c’est contre-productif ! »
Exercices d’exposition et détournement d’attention
Mais alors comment parvenir à faire enfin place nette chez soi ? En dehors des cas où elle est causée par une pathologie clinique (auquel cas il faut traiter celle-ci), la tendance à la syllogomanie peut être dépassée grâce aux thérapies comportementales et cognitives, en particulier avec ce qu’on appelle des « expositions », explique Jérôme Pallazolo. « Avec l’aide d’un psychiatre, la personne va déterminer ce qui la dérange tant dans le fait de jeter, quelle peur y est associée. Puis on va l’amener à se débarrasser des objets accumulés, progressivement (de ceux qu’elle juge "les plus jetables" aux moins jetables), afin qu’elle réalise d’elle-même qu’il n'y a pas de conséquence tangible, et donc que sa peur est totalement infondée. » Avant d’entreprendre ces « expositions in vivo » avec un expert, la personne peut aussi « s’exposer en imagination », seule, par exemple en se visualisant en train de trier les vêtements de son dressing. Le tout en effectuant en parallèle des exercices de relaxation et de respiration, avec l’objectif de gérer l’anxiété générée par la séparation, réelle ou imaginée.« Procéder par étapes, de la manière la plus rationnelle possible, peut être une solution, abonde la psychothérapeute Catherine Aimelet-Périssol. Commencer par jeter les objets qui sont, à vos yeux, moins vitaux que les autres, jusqu’à se mettre en tête de conserver, par exemple, uniquement "ce qui est beau et utile". » Mais plus facile à dire qu’à faire, car « la raison est rarement suffisante, du fait de l’attachement émotionnel à l’objet ». Un des meilleurs moyens, d’après elle, consiste à détourner son attention. « Une patiente, peintre, emportait avec elle, à chaque déménagement, une dizaine de cartons d’objets accumulés au fil des décennies. Résultat, elle n’arrivait même plus à accrocher ses tableaux. Je lui ai donc imposé qu'à la prochaine séance, elle aurait accroché au moins trois de ses œuvres. Ce qu’elle a fini par faire, jetant dans la foulée une partie des cartons... Ce que j’ai fait ? J’ai détourné son attention sur un acte secondaire à l'acte de jeter, afin de sortir de l’attachement émotionnel et d’entrer dans l’action. C’est une clé comportementale qui fonctionne partout : le système nerveux ne supporte pas d’être privé de quelque chose, mais supporte très bien que ce quelque chose soit remplacé. » Avant de vouloir jeter les piles de magazines qui encombrent votre salon, vous pouvez ainsi tenter d’acheter d'abord une jolie plante verte qui vous incitera... à faire de la place chez vous !