- Mieux Vivre Santé : Nombreuses sont les personnes célibataires qui, davantage encore avec les applications de rencontre, recherchent un ou une partenaire qui leur ressemble. Mais, rechercher quelqu’un qui nous est trop similaire n’est-ce pas une erreur ?
Caroline Kruse : Je me souviens d’un patient qui établissait une checklist pour tous les partenaires qu’il trouvait sur un site de rencontre. Pour qu’ils lui conviennent parfaitement, selon lui, tous les items devaient être cochés. Sans surprise, il en manquait toujours au moins un.
Après avoir incriminé sa malchance, il a fini par comprendre que cette quête obsessionnelle et, par définition, impossible, du partenaire qui partagerait tous ses goûts, illustrait avant tout son angoisse devant une possible rencontre. C’est sur les racines de cette angoisse qu’il fallait travailler.
Sans aller jusque-là, une recherche excessive de ressemblance me semble révéler une peur de l’imprévu, un désir de maîtrise, une difficulté profonde à accepter l’altérité de l’autre. C’est se dire, en quelque sorte, “si je trouve quelqu’un qui me ressemble complètement au moins je saurai à quoi m’attendre, je n’aurai pas de mauvaise surprise”. Or une vie de couple réussie, vivante, ne peut faire l’impasse sur l’imprévu, la rencontre de l’autre.
- Comment expliquez-vous que le fait d’être en couple avec quelqu’un qui nous est trop similaire peut poser problème ? A contrario, dans certains cas, cela ne peut-il pas aussi être une force ?
La grande ressemblance dans un couple induit une relation de mode fusionnel. Nous faisons tout ensemble, tout le temps, nous pensons la même chose en même temps, tout le temps .
Pourquoi pas ? Bien entendu, ça peut-être une force. On fait bloc face à un monde extérieur que l’on peut juger hostile. Néanmoins, la difficulté peut survenir lorsqu’un élément extérieur à la relation, dans le milieu professionnel, par exemple, vient ébranler ce bloc.
Mais, le plus souvent, c’est la naissance d’un enfant qui fait vaciller le fantasme d’une trop parfaite similitude. En effet, elle implique une redéfinition des places et des rôles ; introduit , au sein même de la relation, un tiers, un autre; et réintroduit ne serait-ce qu’inconsciemment les transmissions et les traditions différentes des familles d’origine. C’est alors que, parfois, une crise émerge et amène le couple à consulter lorsque l’un des deux, se sentant en partie rejeté, voire exclu, ne supporte pas cette nouvelle définition de la relation.
- Si avoir trop de points communs peut poser problème, être trop différend ne rend-t-il pas également une relation impossible ?
C’est relativement rare de tomber amoureux de quelqu’un de trop différent de nous, néanmoins cela peut être amusant au début. Cela peut aussi combler chez l’un et l’autre un désir d’indépendance, une crainte de se laisser trop absorber par la relation.
Mais, à la longue, si pratiquement toutes les activités différentes pour chacun se multiplient, la place réservée au couple s’amenuise et le risque de devenir de simples colocataires menace. Sans parler de cet autre risque : découvrir hors du couple quelqu’un dont les gouts se rapprochent des vôtres et se rendre compte que c’est finalement assez agréable.
- Si être trop similaire à son ou sa partenaire n’est pas toujours bon et qu’être trop différent ne l’est pas non plus, que faut-il alors rechercher ?
Ce qui est important, c'est d’avoir des valeurs et des buts en commun. Par exemple, si l’on rencontre quelqu’un qui nous déclare d’emblée que jamais, au grand jamais, il ne voudra d’enfant et qu’on ne conçoit pas soi-même sa vie future sans enfants, il vaut peut-être mieux ne pas s’obstiner en espérant que l’amour pourra tout changer. Cela dit, ça arrive mais pas toujours.
- Finalement, et pour résumer, qu’est-ce qui fait qu’un couple peut fonctionner, du moins sur le papier ?
Voilà une question bien compliquée. S’il y avait une recette je vous la donnerais volontiers. La plupart des couples commencent leur relation sur ce mode fusionnel dont j’ai parlé plus haut, n’hésitant pas à dire “on n’a même pas besoin de se parler pour se comprendre”.
En revanche, il arrive un moment à partir duquel on se rend compte que le conjoint ou la conjointe n’est peut-être pas tout à fait, au moins sur tous les sujets, sur la même longueur d’onde que nous.
Il me semble que c’est à ce moment-là que l’amour peut vraiment commencer. C’est à cet instant que l’on aime l’autre pour ce qu’il est vraiment, c’est-à-dire pas un copié-collé de nous-mêmes mais quelqu’un d’à la fois semblable, ce qui nous rassure, et de différent ce qui nous surprend, nous étonne et, par cette différence même, nous enrichit.