- Quels sont les "travers" que vous remarquez au niveau de l'intimité des couples hétérosexuels ?
Alexia Bacouël : Je constate que, généralement, on accorde peu de temps et de place à la question de la sexualité : à un moment donné, on ne s'interroge plus sur ses envies, sur ses fantasmes. Pourtant, la notion de temps est fondamentale dans l'émergence du désir. En passant outre, nos relations sexuelles ont lieu dans un cadre extrêmement similaire, avec une temporalité et des positions qui seront toujours, ou presque, les mêmes : on va droit au but, en passant par quelques "préliminaires", une pénétration, et une éjaculation. Dans ce schéma très classique, il arrive que les femmes n'aient pas l'opportunité d'obtenir du plaisir, ce qui crée beaucoup de frustration, elle-même source d'ennui.
Puis, au fil du temps, le désir s'émousse. Je ne dis pas que tout le monde le vit ainsi, mais, souvent, c'est le cas chez les couples à la sexualité très routinière. L'autre problème, c'est que l'on en parle toujours sérieusement, seulement pour dire quand ça ne fonctionne plus. Les couples n'échangent pas avant, dans un registre beaucoup plus léger. On oublie que l'on peut créer, qu'il s'agit d'un espace d'expression, parfois cathartique, qui permet de lâcher prise vis-à-vis de toutes les règles sociétales auxquelles nous sommes soumis. Il est intéressant de considérer la sexualité comme un réel sujet sur lequel on peut échanger, réfléchir, et, de cette manière, faire perdurer la relation de couple.
- Comment laisser exprimer sa sexualité ?
Elle se nourrit du temps, de l'espace. D'abord, je recommande de s'en laisser pour réfléchir à sa sexualité, se demander ce qui nous convient on non, ce que l'on aime, ce qui nous donne envie, ce qui nous excite. Je pense qu'il est aussi essentiel de s'interroger sur la manière dont on communique avec l'autre. Justement, en parler ensemble entre les rapports sexuels permet le début d'une intimité et renforce les liens. On est toujours dans un objectif d'atteindre l'orgasme : le but de cette démarche est d'en sortir et d'aller explorer ses sens, de se redécouvrir ensemble. Car, parfois, on a beau se connaître depuis de nombreuses années, le corps et les sensorialités évoluent.
- Concrètement, par quoi cette reconquête passe-t-elle ?
En plus d'accorder du temps aux relations sexuelles en elles-mêmes ou au moments d'intimité, l'idéal serait de s'octroyer des instants dédiés, de ne pas en parler dans un message, ou entre deux portes. Par exemple, cela peut se faire autour d'un dîner, ou se traduire par des lectures autour de la sexualité afin de se donner des idées et échanger à ce sujet. On peut aussi développer des jeux, comme se mettre face à face ou dos à dos et se lire un passage d'une nouvelle érotique, écouter ensemble un podcast pornographique, se masser, voire manger à deux des mets qui peuvent procurer du plaisir.
Néanmoins, cette notion de temps varie en fonction des couples : avoir des relations sexuelles une fois par mois suffira à certains, alors que d'autres en auront davantage besoin. C'est propre a chacun, car la sexualité n'est pas la même pour tous. Certes, on rencontre des problématiques très similaires, mais elles s'expriment différemment. Il s'agit simplement de se donner l'opportunité d'y accorder de l'intérêt.
- En dehors de la notion de temps, comment atteindre une sexualité épanouissante ?
Avec mes patients, je travaille sur la pleine conscience pour les aider à sortir un petit peu de leur tête et revenir à leur corps, au présent. Dans notre société, nous sommes beaucoup dans l'intellectuel : on en oublie l'aspect purement physique et sensoriel, ce qui se traduit dans la sexualité. La reconnexion à soi permet d'être plus à même de ressentir du plaisir, de prendre soin de soi. Par ailleurs, les smartphones et la télévision dans la chambre nous coupent beaucoup de l'autre, de l'intimité : ils sont extrêmement délétères dans les relations.
De temps en temps, il serait intéressant de les couper et de se donner l'opportunité de faire autre chose car ce sont des véritables tue-l'amour qui prennent énormément de temps et d'énergie. Finalement, on arrive à un moment de la soirée où, quand on pose son téléphone, on n'a plus rien envie de faire, si ce n'est dormir. Que ce soit dans la communication verbale ou dans les gestes de l'intimité, les échanges se tarissent.
- L'aspect psychologique est-il également à prendre en compte ?
Bien sûr ! Que ce soit en termes de plaisir ou de désir, on est conditionné par notre bien-être psychique. Lorsqu'elles sont stressées, anxieuses, certaines personnes voient dans le sexe un moyen de libérer leurs tensions. Dans ce cas, les rapports peuvent manquer de partage. À l'inverse, pour d'autres, l'angoisse et les préoccupations peuvent être tellement prenantes que le désir n'a plus l'occasion d'émerger. Si l'on est complètement dans sa tête pendant une relation sexuelle, on ne se trouve pas dans le ressenti : quand on pense au linge à étendre ou au repas à préparer, il y a de fortes chances pour que l'on ne soit pas dans l'appréciation des sens. Or, le ressenti, c'est le plaisir. Le cerveau perçoit le sexe comme une récompense. Ainsi, pour en avoir à nouveau envie, il faut que les relations soient suffisamment plaisantes.
