Mouvement populaire originaire des États-Unis, le "no-bra" – ou "sans soutien-gorge" – s'est particulièrement développé en France en 2018, notamment au renfort de l'émergence du #NoBraChallenge sur les réseaux sociaux. Néanmoins, il aura fallu attendre la mise en place du premier confinement pour que la tendance se confirme. Selon une enquête Ifop menée en juin 2020, 18% des femmes de moins de 25 ans ne portaient plus du tout de soutien-gorge l'été dernier, contre 4% au mois de février de la même année, et 20% en avril. Si l'on regarde l'ensemble de la population des femmes de 18 ans et plus, le chiffre a doublé : elles étaient 3% à ne jamais mettre de soutien-gorge avant le premier confinement, contre 8% pendant et 7% après.
Désir de confort, volonté de se réapproprier son corps… Quelles que soient les motivations de ses adeptes, le boom du no-bra interroge : quid de ses conséquences sur la poitrine ? Et qu'en est-il de celles du soutien-gorge ? Gynécologue, oncologue et médecin référente pour les femmes à risque génétique de cancer du sein et des ovaires à l'hôpital René Huguenin, à Saint-Cloud, Nasrine Callet fait le point.
- Existe-il des idées reçues sur le port du soutien-gorge ?
Nasrine Callet : En tant que femme et médecin, j'en vois surtout une : la peur que les soutiens-gorge à baleines métalliques favorisent le cancer du sein. C'est faux. En réalité, si l'on porte tout le temps ce type d'armatures, elles provoquent des impacts d'appui sur les extrémités, au niveau de la glande mammaire. À terme, cela peut rendre le tissu mammaire un peu dur, fibreux, et former une fibrose, mais il ne s'agit pas d'une tumeur, et heureusement !
- Comment expliquer l'ampleur croissante du mouvement "no-bra" ?
À mon avis, cela tient d'une volonté de "libération", et ce ne serait pas la première fois. On a déjà traversé des époques, comme les années 1930, où la mode s'est adaptée aux femmes pour qu'elles aient des vêtements plus amples, plus agréables à porter, moins contraignants. À l'inverse, dans les années 1990, on a vu se multiplier des photographies et des publicités montrant des poitrines voluptueuses, et faisant la promotion des push-up. Maintenant, je pense qu'il y a de nouveau ce désir de ne pas s'enfermer dans un carcan. En parallèle, certaines femmes se débarrassent de leurs soutiens-gorge car elles se sentent serrées dedans, au sens littéral du terme. Si c'est le cas, c'est parce qu'ils ne sont pas adaptés à leur taille, tout simplement.
- Ne pas porter de soutien-gorge est-il bon ou mauvais pour la poitrine ?
Ni l'un, ni l'autre. En revanche, il faut savoir que les seins sont constitués de glandes mammaires, de gras et de fibres, et qu'ils dépendent des hormones. Quand on est jeunes, ces dernières entretiennent la texture des glandes mammaires. Dès lors que l'on prend de l'âge, puis que l'on passe par la ménopause, on a moins d'hormones : le tissu mammaire s'atrophie, et, petit à petit, les glandes diminuent pour être remplacées par la graisse. Mais ce n'est pas uniquement une question de vieillesse. Prenons l'exemple d'une femme à la poitrine volumineuse, donc avec beaucoup de gras dedans. Au lieu des fibres, elle aura tendance à avoir du tissu peu tonique : si elle ne porte pas de soutien-gorge, ses seins tomberont.
- Ainsi, peut-on dire que le port régulier du soutien-gorge favorise indirectement le maintien de la poitrine sur le long terme ?
Tout à fait ! Ce n'est pas lui qui fait que la poitrine ne tombe pas : comme son nom l'indique, il soutient. Le cas des chirurgies mammaires l'illustre bien, qu'elles aient lieu dans le cadre d'une reconstruction post-cancer ou d'une opération purement esthétique. Juste après, les femmes concernées doivent porter un soutien-gorge pour que la circulation se fasse correctement. Par ailleurs, je recommande vivement aux sportives de mettre des brassières, surtout pour la course à pied, car leur corps est soumis à des à-coups qui peuvent provoquer la chute progressive des glandes mammaires, sous l'effet de la pesanteur.
- Le soutien-gorge présente-t-il d'autres avantages ?
Oui, il prévient l'apparition des maux de dos, dès lors qu'il est à la bonne taille. Les femmes à forte poitrine sont particulièrement concernées : comme elle pèse à l'avant, elles ont tendance à ne pas se tenir droite. Là encore, appuyons-nous sur l'exemple des patientes ayant eu un cancer et qui ont dû se faire retirer un sein. Avant la reconstruction, si on met une prothèse dans le soutien-gorge au niveau du côté où l'ablation a été réalisée, ce n'est pas uniquement pour harmoniser l'habillement. C'est surtout pour éviter que l'épaule associée et le dos ne penchent.
- À l'inverse, a-t-il des inconvénients ?
Oui, on ne le répètera jamais assez : s'il n'est pas à la bonne taille, le soutien-gorge serrera et deviendra inconfortable. C'est comme tout vêtement. Il doit être adapté à chaque femme pour qu'elle se sente bien dedans. Il faut le choisir avec soin, l'essayer, et, surtout, ne pas hésiter à demander conseil en magasin pour prendre ses dimensions. Certaines marques proposent ce service et ont de la lingerie bien taillée, comme Wolford, ou Darjeeling, si on a un budget moins conséquent.
- Outre le choisir avec attention, que préconisez-vous quant au port du soutien-gorge ?
Je déconseille d'en porter un en dormant. Déjà parce que ce n'est pas particulièrement agréable, mais aussi parce que c'est en le mettant jour et nuit que l'on risque de développer des fibroses à l'endroit où la baleine appuie. Enfin, si je recommande aux femmes à forte poitrine de mettre un soutien-gorge, ce n'est pas le cas pour celles aux petits bonnets : elles n'en ont pas forcément besoin. Néanmoins, elles peuvent opter pour une brassière quand elles font du sport, car ce n'est pas très agréable de ne pas du tout être maintenue lorsque l'on réalise des mouvements vifs.