- Mieux Vivre Santé : Des attentes différentes peuvent-elles peser sur les enfants selon leur rang dans la fratrie ?
Marie Danet : Oui, on a tendance à avoir davantage d'exigences, à placer un petit peu plus d'attentes sur l'aîné quand il grandit car il servira de modèle. Surtout, avec lui, les parents apprennent à devenir parents : ils ont un certain nombre de principes plus rigides que pour les suivants. Au début, on sait où on va, mais, finalement, quand son premier enfant arrive, on se rend compte que tout n'est pas noir ou blanc, qu'il faut apporter de la nuance. Puis, avec les cadets et les benjamins, on passe des principes à la réalité : on essaie de faire au mieux plutôt que de rester bloqué sur des dogmes très inflexibles.
C'est comme si, avec plus d'enfants, on parait à l'essentiel et à l'urgence, parce que le premier nous a amené à nous interroger sur nos habitudes et sur la façon dont on exprime nos émotions. Ainsi, on pourrait dire que les parents s'adaptent et sont peut-être plus souples avec les seconds. Néanmoins, il est impossible de généraliser : par exemple, des parents qui ont un aîné avec une très bonne attitude n'auront peut-être pas trop d'exigences car, de par ses comportements, l'enfant sera déjà source de modèle positif pour ses frères et sœurs. Leur tempérament joue aussi, et il varie beaucoup de l'un à l'autre.
- Comment faire en sorte qu'un enfant ne soit pas plus lésé qu'un autre ?
Je pense qu'il est important d'essayer de considérer la place de chacun dans la fratrie. En revanche, il me semble complètement illusoire d'adopter exactement la même éducation avec tous ses enfants : ce serait ne pas tenir compte de leur personnalité, de leur singularité, donc ce ne serait pas forcément positif. Chacun a des besoins différents. Par exemple, on peut trouver dans la même fratrie un enfant plutôt discipliné à qui il ne sera pas nécessaire d'imposer des limites, et un autre qui aura besoin d'un cadre extrêmement serré pour éviter les débordements.
Ainsi, les pratiques éducatives doivent être adoptées au tempérament de chaque enfant. Finalement, les parents réapprennent à être parents à chaque naissance, et ne doivent pas se sentir coupables de ne pas reproduire les mêmes méthodes, trait pour trait. Par ailleurs, ce qui est intéressant dans les fratries, c'est de remarquer que ses enfants, outre des modèles, peuvent faire office de ressources de soutien émotionnel les uns pour les autres.
- Qu'entendez-vous par "ressources de soutien émotionnel" ?
Je me réfère à la théorie de l'attachement, selon laquelle une personne peut en considérer une autre comme ressource tout au long de sa vie. C'est vers elle qu'elle se tournera en cas de stress, de besoin de réconfort, de soutien : en somme, pour réguler ses émotions, se sentir mieux. Une figure d'attachement le devient parce qu'elle est perçue comme plus ou moins disponible, à l'écoute. Par exemple, les plus jeunes ont tendance à se référer à leur aîné, même si ce n'est pas du tout systématique : quand ce dernier est moins empathique, il arrive que le cadet joue le rôle de figure d'attachement.
- Pensez-vous que les parents peuvent donner cette impulsion ?
Oui, plus que veiller à une éducation homogène, c'est peut-être ça que les parents doivent travailler : apprendre à leurs enfants à pouvoir compter l'un sur l'autre. Cela passe par essayer de favoriser une relation entre frères et sœurs, même lorsqu'il y a beaucoup d'écart d'âge. L'important, c'est qu'ils puissent avoir des temps seuls pour se construire, ainsi que des moments communs en fratrie, sans les parents, pour partager des univers qui leur permettront de tisser ce lien.