À l’instar de son prédécesseur Gérard Collomb, le nouveau maire de Lyon, Grégory Doucet, a choisi de supprimer la viande des menus scolaires afin de pouvoir respecter les restrictions sanitaires actuelles et de fluidifier le service à la cantine. Et alors que lorsqu’elle avait été mise en place en 2020 par l’ancien ministre de l’Intérieur, la mesure n’avait fait aucune vague ; le mois dernier, elle a lourdement fait polémique.
Et pour cause, un certain nombre de ministres et de personnalités politiques LREM et LR ont sévèrement critiqué cette décision déclarant que, sans viande servie à la cantine, les enfants n’allaient pas avoir tous les nutriments nécessaires à la croissance. Autre critique adressée à la Mairie lyonnaise : en raison du prix de la viande, les enfants originaires de familles modestes n’en mangent qu’à la cantine, la supprimer du menu reviendrait donc en quelque sorte à les priver de viande.
Manger moins de viande : une bonne initiative
Prenons le temps de s’attarder sur le premier argument de la majorité : diminuer la consommation de viande chez les enfants mettrait à mal leur apport en nutriments. C’est faux, les enfants peuvent sans problème manger moins de viande.
En outre, selon le médecin nutritionniste Arnaud Cocaul, il s’agit même “d’une bonne initiative”. Il s’explique, “la posture idéologique n’a pas lieu d’être dans l’assiette des enfants (...), il n’y a ici aucun argumentaire scientifique derrière les réflexions de Gérald Darmanin (NDLR ministre de l’Intérieur) ou de Julien Denormandie (NDLR ministre de l’Agriculture)”, en revanche, “le maire de Lyon et Barbara Pompili (NDLR ministre de l’Environnement) sont dans un bon positionnement”.
Pourquoi vous demandez-vous ? Avant tout, parce que comme l’a relevé le Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) dans un rapport daté de 2018, les Français mangent 945 grammes de viande par semaine, soit 445 grammes de plus que les 500 grammes maximum recommandés par l’OMS. Or, consommer trop de produits carnés “augmente le risque de développer des maladies cardiovasculaires et certains cancers (...)” et une surconsommation de viande rouge peut donner lieu à “un excès de fer qui cause certaines pathologies dont le cancer des intestins”, précise Arnaud Cocaul.
De plus, complète le médecin, “habituer les enfants à en manger tous les jours, c’est risquer qu’ils intègrent cette habitude par culture dans leurs rations quotidiennes”. Une habitude qui en plus d’être mauvaise pour la santé n’a aucun intérêt diététique puisque les enfants trouveront tous “les acides aminés, protéines, minéraux… dans les oeufs, le poisson, les produits laitiers, les végétaux, les légumineuses” et autres aliments qui leur seront toujours servis à la cantine.
Classes sociales et consommation de viande
Et si l’argument défendu, entre autres, par le ministre de l’Agriculture est donc faux ; celui érigé par Gérald Darmanin n’est guère meilleur. Non, supprimer la viande à l’école, ce n’est pas en priver les enfants issus des classes populaires, au contraire.
En effet, toujours dans la même étude, le Crédoc révélait, en 2018, que ce sont les familles les plus défavorisées qui mangent le plus de viande. Les ouvriers mangent ainsi plus de 140 grammes de viande par jour et par personne, alors que les CSP+ en mangent moins de 120 grammes.
En outre, d’une part, tout le monde consomme trop de viande, et d’autre part la corrélation entre milieu social et consommation de produits carnés est inverse à celle avancée par le ministre. Arnaud Cocaul pointe ici du doigt la responsabilité de Santé Publique France qui d’après lui ne fait pas travail. “On devrait cibler en fonction des populations. Il faudrait démonter l’idée selon laquelle manger équilibré, c’est forcément manger de la viande, surtout chez les étudiants et dans les milieux ouvriers”, dénonce le nutritionniste.
Éduquer les enfants
Par ailleurs, rappelle Arnaud Cocaul, servir moins de viande peut être une bonne chose pour des “raisons d’apprentissage culinaire et culturel”. “On peut ouvrir les enfants à autre chose, comme le poisson, mais uniquement s’il est issu de la pêche durable. Ce serait une manière de les éduquer au sujet de l’exploitation des mers. Le maître peut également profiter du changement de menu pour expliquer comment on mange dans différents pays”, ajoute Arnaud Cocaul.
In fine, plutôt que de déplorer la disparition de la viande dans l’assiette des écoliers lyonnais, nous ferions mieux d’en profiter pour éveiller la curiosité des enfants. On pourrait se servir de cette initiative afin d’instruire les enfants sur plusieurs questions essentielles remarque le professionnel de santé : “D’où vient ce que vous mettez dans votre assiette ? Pourquoi ne mangeons-nous pas de fraises en hiver ? Ou encore : (en consommant hors saison) n’élevons-nous pas la taxe carbone ?”. Dans le même ordre d’idées, le docteur Cocaul conclut, on pourrait se servir de cette mesure pour “faire venir des chefs cuisiniers dans les cantines scolaires afin qu’ils fassent des recettes différentes” pour diversifier les habitudes culinaires des plus jeunes.