Pourquoi docteur - Vous venez de publier l’ouvrage intitulé "Surmonter ces petits traumas qui minent notre quotidien" chez First Editions. Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?
Meg Arroll - J'ai écrit ce livre pour élargir le champ des soins en santé mentale, une nécessité que j’appréhende tous les jours dans ma pratique professionnelle.
Au cours des dernières décennies, la question de l'impact des traumatismes sur la vie quotidienne a en effet bien émergé, mais les recherches se sont surtout concentrées sur les chocs majeurs plutôt que sur l'effet cumulatif d'expériences de vie plus banales mais non moins significatives.
Qu'est-ce qu'un "petit traumatisme" ?
Quelle est la différence entre "traumatisme mineur" et "traumatisme majeur" ?
Les traumatismes majeurs renvoient par exemple aux abus sexuels, aux agressions violentes, à la guerre ou encore aux catastrophes naturelles. Nous savons aujourd’hui que ces événements peuvent entraîner des troubles mentaux et physiques importants. Cependant, toutes les personnes qui présentent ce genre de problèmes n'ont pas forcément vécu ces expériences extrêmes. C'est dans cette "zone d’ombre" que les traumatismes mineurs s’ancrent.
Avez-vous des exemples concrets de "petits traumatismes" ?
Les traumatismes mineurs peuvent se présenter sous de nombreuses formes et à tous les stades de la vie. Ce dernier point est important car nous concentrons souvent notre attention sur l’influence des premières expériences alors que ce que nous traversons plus tard peut également modifier notre perception de nous-mêmes et du monde.
Dans l'enfance, une mauvaise relation avec ceux qui prennent soin de nous peut par exemple constituer une forme de traumatisme de faible intensité, car le sentiment de ne pas être à sa place dans sa famille peut influencer nos sentiments et notre comportement tout au long de notre vie s'il n'est pas identifié.
Concernant la sphère amicale, les brimades et les humiliations marginales d’un proche peuvent aussi constituer un choc mineur, tout comme la fin d’une relation essentielle (nous avons en effet tendance à avoir une vision irréaliste de la nature et de la durée de ce type de liens).
Enfin, les microagressions au travail peuvent aussi, si elles sont répétées, être très mal vécues et avoir des conséquences à court et à long terme.
Les "petit traumatismes" peuvent entraîner de nombreuses conséquences
Quelles peuvent être les conséquences des petits traumas ?
Toutes ces expériences négatives peuvent engendrer divers problèmes, comme des difficultés à s’attacher aux autres, à gérer les transitions et à avancer dans la vie, une perte de la confiance en soi, de l’anxiété, un perfectionnisme inadapté, une suralimentation calibrée sur les émotions ou encore le développement du syndrome de l’imposteur.
Les traumatismes mineurs affectent-ils tout le monde de la même manière ?
Non, les traumatismes mineurs n'affectent pas tout le monde de la même manière. C'est pourquoi nous devons nous efforcer d'écouter sans jugement ce que les autres nous racontent sur l'impact de leur parcours de vie et de leurs expériences.
Pourquoi ?
Certaines personnes ont déjà développé des mécanismes d'adaptation à des défis particuliers et disposent donc des outils nécessaires pour faire face à des traumatismes mineurs, mais ce n'est pas le cas de tout le monde. En outre, nous disposons tous d'un soutien social différent, en quantité et en qualité, qui peut plus ou moins nous aider à surmonter les contrariétés de la vie.
Pour beaucoup, le passage à une forme de soutien psychologique plus personnalisé est donc justifié en cas de petits traumatismes.
Comment surmonter les "petits traumatismes" ?
Pour surmonter les petits traumatismes de la vie quotidienne, vous proposez justement d'utiliser "la méthode AAA". Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette thérapie et quel est son objectif ?
L'approche AAA s'inspire de différents domaines de la psychologie et se fait en trois étapes.
Le premier "A" signifie "prise de conscience". A ce stade, on met au jour avec le patient sa constellation de petits traumatismes et la manière dont ils peuvent influencer négativement la vie quotidienne.
Le "A" suivant renvoie à "l’acceptation". C'est souvent la partie du processus que les gens sautent, car elle peut être inconfortable voire même douloureuse.
Le dernier "A" représente "l’action". Mon approche est en effet orientée vers l'avenir, donc je pousse mes patients à prendre intentionnellement des mesures concrètes pour se créer la vie qu’ils désirent.
Tout ce processus contribue à renforcer notre "système immunitaire psychologique", qui nous permet au sortir de la thérapie de mieux faire face aux difficultés futures grâce à de nouveaux "anticorps émotionnels".
Existe-t-il d'autres exercices et/ou routines qui peuvent être mis en place au quotidien pour aider à faire face aux traumatismes mineurs ?
Voici quelques-unes de mes techniques préférées.
1/ Générer des émotions avec de la musique
Il est essentiel de s'autoriser à ressentir nos émotions, même celles qui ont été jugées socialement inacceptables. Pour ce faire, composez et écoutez régulièrement une compilation de chansons qui vous font ressentir toute une gamme de sentiments, de la joie à la tristesse, de l'exaltation à la mélancolie et tout ce qui se trouve entre les deux.
2/ Constituer un bocal à compliments
Nous sommes souvent beaucoup trop durs envers nous-mêmes et avons tendance à ignorer, à rejeter ou simplement à ne pas prendre en compte les compliments. Pour contrebalancer cette mauvaise habitude, trouvez un bocal vide et étiquetez-le "boîte à compliments" avec votre nom. La prochaine fois que quelqu'un vous félicitera pour un travail bien fait, vous remerciera pour un geste gentil ou même si vous avez survécu à une journée particulièrement difficile, notez ces expériences sur de petits morceaux de papier et ajoutez-les à votre contenant. Puis, à la fin de la semaine (ou même plus tôt si vous avez besoin d'un coup de pouce), relisez vos notes et laissez les éloges vous envahir.
3/ Investir dans toutes les formes de repos
Nous considérons souvent le sommeil comme la seule pratique réparatrice de notre vie, alors que le repos est tout aussi important.
Il existe en effet de nombreuses formes de temps morts qu’il est judicieux d’investir, notamment physiques, mentaux, sociaux, émotionnels, créatifs, spirituels et sensoriels.
"Petits traumatismes" : quand faut-il consulter un psychologue ?
Si toutes ces méthodes ne fonctionnent pas, faut-il consulter un psychologue, et si oui quand ?
Si vous n'êtes plus en mesure de mener à bien vos activités quotidiennes (travail, tâches ménagères, soins, hygiène personnelle, etc), si vous avez du mal à faire face aux exigences de la société ou si vous avez l'impression que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue, n'hésitez pas à demander l'aide d'un professionnel.
Néanmoins, j’en profite pour préciser qu’il n'est pas nécessaire d'attendre d'être submergé par les problèmes pour consulter. Il est tout à fait possible de voir régulièrement un thérapeute, un coach ou un psychologue de manière préventive dans le but de mieux nous connaître, d’apprendre des stratégies de régulation émotionnelle, d’améliorer nos relations, d’atteindre des objectifs, de développer des mécanismes d'adaptation, de mieux gérer le stress ou les transitions et ainsi de profiter pleinement de la vie.