Le Parquet de Paris a demandé un non-lieu général dans l'affaire de la vache folle. D'après les informations révélées par Le Parisien ce lundi, « aucun lien objectif et irréfutable ne pouvait être établi entre les éléments en cause et les décès ». Du côté des familles des victimes, c'est évident la douche froide. Si les juges suivaient les réquisitions du parquet, "ce serait une déception pour les familles mais ce serait aussi se priver d'informations utiles sur des dérives dans les marchés de denrées alimentaires", a déclaré à l'AFP Me Bernard Fau l'un des avocats des parties civiles. "Tout ça pour ça... C'est décourageant", a estimé de son côté Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir, qui pointe du doigt "une lenteur coupable et inadmissible de la justice". Pourquoidocteur a interrogé la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy, spécialiste des questions de santé publique qui a instruit des scandales comme celui du sang contaminé, mais aussi celui de la vache folle.
Pourquoi Docteur : Le parquet a requis un non-lieu dans l’affaire de la vache folle. Vous avez instruit ce dossier pendant plusieurs années. Etes-vous déçue qu’on en arrive là ?
Marie-Odile Bertella-Geffroy : Ce n’est pas un scandale de ne pas avoir abouti à un procès. En fait, je ne suis pas du tout étonnée que l’on s’achemine vers un non-lieu car il est tellement difficile d’établir un lien de causalité entre telle victime de l’ESB et la consommation d’une viande en particulier. En droit pénal, il faut trouver un lien de causalité certain entre le décès d’une personne et tel bifteck, si je puis dire. Il faut retrouver le bovin contaminant mais aussi faire le lien avec les négligences commises dans la gestion du cheptel ou chez les décideurs…
Pour les victimes, est-ce que ce n’est quand même pas un grand gâchis ?
Marie-Odile Bertella-Geffroy: Cette instruction qui a duré 17 ans a quand même donné des réponses aux victimes et elles ont été indemnisées, ce qui n’a pas été facile. C’est déjà bien d’avoir avancé pour déterminer les négligences commises. L’enquête a permis de leur apporter une réponse importante : le lien entre le fait d’avoir mangé du bœuf et cette maladie est reconnu. Mais où, comment et quand, impossible à dire… Au civil, les avocats ont réussi à obtenir des indemnisations. Au pénal, c’est plus difficile d’obtenir des réponses à ses questions. D’ailleurs certains avocats ne viennent même plus au pénal. Ces 17 années d’instruction n’ont donc pas servi à rien. Ce qui est dommage, c’est qu’on s’oriente vers une société assurantielle, - on rembourse les gens, on les indemnise - mais pas vers une société de responsabilité.
Est-ce que cette affaire n’est pas la parfaite illustration de l’échec programmé des affaires de santé publique devant la justice ?
Marie-Odile Bertella-Geffroy : Si, tout à fait. Les lanceurs d’alerte n’ont pas été entendus, les lobbys ont été très puissants et les experts pas toujours indépendants. Cette affaire illustre l’absence de moyens et la rigidité du code pénal dans ce genre de dossier. C’est pourquoi je milite pour la création d’un tribunal pénal européen de l’environnement et de la santé. Dans le dossier de la vache folle, sont impliqués la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la Suisse, la France… Il n’y a pas de frontières pour les contaminations. Et chaque procédure a sa complicité. Un procureur financier européen va sans doute être créé. Pour la santé, ce serait une avancée considérable pour la prévention parce que de la sanction sort la prévention. Les victimes veulent avant tout savoir comment on a pu arriver à des contaminations françaises. Et surtout que cela ne recommence pas. Pour cela, il faut une indépendance, des moyens… au niveau européen.