Elles n’en parlent presque jamais, y compris à leurs proches. Il faut dire que le sujet touche à ce qu’il y a de plus intime chez la femme – son sexe, mais aussi son plaisir, sa sexualité. En France, plus de 50 000 femmes vivent avec une mutilation de leur appareil génital. La plupart sont originaires d’Afrique, où 28 pays pratiquent l’excision.
D’habitude silencieuse, la société leur accorde tous les 6 février une journée internationale pour les sortir de l’ombre. Mais le reste de l’année, heureusement, d’autres acteurs s’intéressent au sort des femmes excisées. Parmi eux : les professionnels de santé.
« 16 % des femmes qui accouchent ici sont excisées »
Depuis plusieurs années, une quinzaine d’hôpitaux ont ainsi mis en place des unités de soins spécifiques pour prendre en charge ces femmes mutilées. L’approche y est pluridisciplinaire et doit répondre aux multiples difficultés physiques et psychologiques induites par l’excision. Ainsi, des médecins, des infirmiers, des psychologues, des sexologues, voire des juristes, interviennent dans leur prise en charge thérapeutique.
C’est le cas du Centre Hospitalier Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, qui a ouvert une unité au sein de son service gynécologique il y a deux ans. « Notre département est particulièrement concerné par ce phénomène, explique Ghada Hatem, chef du service gynécologie. Nous avons constaté que 16 % des femmes qui accouchent ici sont excisées. Il était de notre responsabilité de leur proposer une solution ».
Les femmes poussent la porte de ce service pour des raisons variées. Certaines ignorent même si elles ont été mutilées - lorsque l’acte a été perpétré après la naissance – et veulent en avoir le cœur net. D’autres se plaignent des séquelles qu’elles ont gardées – douleurs, incontinence, dépression …
Chirurgie réparatrice
« Lors de la première consultation, nous identifions leur problématique. Ont-elles des troubles sexuels, avec absence de libido ou de plaisir, des douleurs lors de la pénétration ? Ou bien souffrent-elles de problèmes identitaires et de psychotraumatismes liés à l’absence de consentement lors de l’excision ? Viennent-elles parce qu’elles ont mal, au quotidien ? L’intervention chirurgicale ne peut pas répondre à toutes les situations », précise Ghada Hatem.
Au final, un tiers des femmes reçues dans les consultations de Saint-Denis iront au bloc opératoire – soit huit à dix par mois. L’intervention chirurgicale est pratiquée depuis une dizaine années dans les hôpitaux français, sous l’impulsion de l'urologue Pierre Foldès, le père de cette technique chirurgicale. Elle dure une demi-heure et consiste à inciser la cicatrice au niveau de la vulve pour libérer le reste du clitoris qui n’a pas été excisé.
Ecoutez Ghada Hatem, chef du service gynécologie (Centre Hospitalier Saint-Denis) : « Lors de l’excision, les petites filles se débattent, ça se passe très vite ; souvent, seul le capuchon du clitoris est coupé ».
Apprendre à se réapproprier son corps
L’intervention chirurgicale donne des résultats satisfaisants. Au niveau anatomique, les femmes retrouvent un sexe « normal » au bout de plusieurs mois – six, en moyenne. Les terminaisons nerveuses se reconstruisent progressivement et permettent à la femme d’avoir des sensations et du plaisir sexuel.
Pour autant, le chemin vers une sexualité épanouie peut être long. « Certaines femmes sont déçues, car elles s’imaginaient avoir des orgasmes à répétition après l’opération, précise Ghada Hatem. Cela ne se passe pas comme ça… Outre le fait d’être excisées, ces femmes viennent de culture où le sexe est considéré comme sale, où il faut être très pudique… Bref, elles doivent se réapproprier leur corps ».
C’est d’ailleurs tout l’intérêt d’une approche pluridisciplinaire. Fondé par Pierre Foldès, l’Institut de Santé Génésique, à Saint-Germain-en-Laye, s’occupe du suivi pré et post-opératoire des femmes victimes d’excision. Une cinquantaine de femmes issues du monde entier viennent chaque mois en consultation. Des jeunes filles, des mères de famille... Les âges varient autant que les profils.
La prise en charge est totalement gratuite. D’ailleurs, la Sécurité sociale française, pionnière sur le sujet, rembourse intégralement la prise en charge depuis 2004. « Ce n’est pas une chirurgie esthétique pour riches Saoudiennes, mais une opération humanitaire », précise Frédérique Martz, qui se souvient du récit de l’une de ses patientes, lors de son premier ébat postopératoire. « Elle a allumé la lumière de la chambre et a demandé à son compagnon de faire l’amour dans la clarté. Pour la première fois, m’a-t-elle dit, elle n’avait pas honte de son corps ».