Les faits débutent de façon assez banale. La semaine passée, la ministre de la Santé Marisol Touraine a demandé à l’Agence nationale de sécurité du médicament (Ansm) d'examiner le dossier du médicament Sativex. L’étude du dossier aurait pour objectif l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché (Amm) dans une indication d’antidouleur chez les personnes atteintes de sclérose en plaques (Sep). Mais là où cette demande de la ministre révèle son caractère atypique, c’est que les principes actifs du Sativex ne sont autres que le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD), des cannabinoïdes, c’est-à-dire des dérivés du… cannabis.
Le Sativex est déjà autorisé aux Etats-Unis, au Canada ainsi que dans certains pays européens (Suisse, Angleterre). Il se présente sous la forme d’un spray et n’est pas le seul médicament dérivé du cannabis qui existe sur le marché : c’est également le cas du Marinol (sous forme de gélules) et du Bedrocan (fleur sèche du chanvre qui se consomme par inhalation).
Mais en France, l’usage thérapeutique du cannabis n’est pas autorisé. D’ailleurs, si le Sativex était approuvé par l’Ansm, il serait nécessaire de modifier un décret en ce sens. Mais là encore, ce n’est qu’une simple question de législation. Ce qui pourrait engendrer une levée de boucliers est qu’une partie des Français voient dans l’autorisation de l’utilisation de dérivés de cannabis pour un usage thérapeutique, un premier pas vers la dépénalisation, contre laquelle ils sont farouchement opposés.
Le Sativex possèderait pourtant des qualités reconnues dans le traitement de certains types de douleurs. « Il y a des cannabinoïdes qui ont montré leur efficacité sur la douleur, constate le Dr Alain Serrie, président fondateur de l’Ong Douleurs sans frontières. Et l’on manque de principes actifs dans le traitement des douleurs rebelles. » A ce sujet, en novembre 2012 et janvier 2013, deux publications sont notamment parues dans la revue scientifique Journal of Neurology, traitant de l’efficacité du Sativex chez les patients atteints de SEP.
Ecoutez le Pr François Chast, chef du service de pharmacie clinique des hôpitaux universitaires Paris Centre : « On a de plus en plus la conviction que le spray de Sativex est un élément thérapeutique intéressant dans certaines douleurs liées à la spasticité des muscles ».
D’ailleurs, preuve en sont les autorisations temporaires d’utilisation (Atu, autorisations exceptionnelles délivrées au cas par cas pour l’utilisation d’un médicament), que l’Ans a déjà délivré pour le Marinol. Il y en aurait eu une centaine. Pas de raisons, ainsi, de ne pas considérer le Sativex comme un candidat médicament lambda, sans qu’il soit pour autant craint un glissement vers l’usage récréatif. Car entre l’usage récréatif et l’usage thérapeutique, il y a un monde : d’un côté, le cannabis, qui se fume et est considéré comme une drogue douce ; de l’autre, un médicament, une molécule qui possède un effet thérapeutique. « Les cannabinoïdes n’ont rien à voir avec les cigarettes de hasch », confirme le Dr Alain Serrie. « Le cannabis fumé n’est pas un médicament et ne doit pas l’être, renchérit François Chast. En revanche, s’il y a des substances dans le cannabis qui sont utiles, étudions-les ! »
Le chemin semé d’embuches dans lequel le Sativex s’engage n’est pas sans rappeler celui qu’a traversé, il y a quelques décennies, la morphine. Cet extrait de l’opium a du en effet en passer, au début de sa commercialisation, par un examen de confiance en tant que médicament, rappelle le Pr François Chast. Les risques de mésusages pour ces dérivés de drogues, addictives, sont naturellement à prendre en considération ; comme pour tout médicament.
Ecoutez le Pr François Chast : « Aujourd’hui, on ne prive pas un patient de morphine sous prétexte qu’il y a un risque de mésusage. Elle a acquis un statut nouveau car on sait que c’est un médicament très efficace dans les douleurs sévères ».
Dérivé du cannabis ou pas, c’est bien sur l’efficacité du Sativex que l’Ansm va se pencher. Son avenir est entre ses mains.
Ecoutez le Pr François Chast : « Laissez parler les experts. Nous n’avons pas du tout à nous inquiéter ».