Des mots pour les maux
La « chondrocalcinose articulaire » est une maladie secondaire à des dépôts de cristaux de « pyrophosphate de calcium dihydraté » au microscope à lumière polarisée (« cristallopathie »).
Les dépôts articulaires de pyrophosphate de calcium sont fréquents en radiographie. Leur imputabilité dans la maladie articulaire est plus difficile à établir.
Qu'est-ce qu’une chondrocalcinose articulaire ?
La chondrocalcinose articulaire, ou « CCA », est définie par la présence de dépôts de « cristaux de pyrophosphate de calcium » dans les articulations. Elle reste très souvent cliniquement silencieuse (« asymptomatique ») mais peut être associée à plusieurs formes de souffrance articulaire et « d’arthrite » (« arthropathie »), aiguës ou chroniques.
Les manifestations de la CCA sont largement déterminées par le fait que le pyrophosphate de calcium se dépose surtout dans les cartilages fibreux (« fibrocartilages ») et hyalin des articulations et, dans une moindre mesure, les tendons, les « enthèses » (insertions des ligaments et tendons) et les bourses articulaires. La chondrocalcinose touche donc particulièrement les articulations qui contiennent des structures méniscales constituées de fibrocartilage, comme les genoux (ménisques), les poignets (ligament triangulaire du carpe), l’épaule (« bourrelet glénoïdien ») et la symphyse pubienne.
A partir de ces sites privilégiés, les cristaux peuvent être retrouvés dans le liquide articulaire et dans la membrane synoviale. Les atteintes des articulations de la base des doigts (« articulations métacarpo-phalangiennes » ou MCP), surtout 2ème et 3ème, des épaules, des hanches et de la colonne vertébrale sont fréquentes aussi, mais les tendinites, enthésites et bursites surviennent plus rarement.
Trois facteurs principaux semblent intervenir dans la pathogénie de ces dépôts de pyrophosphate de calcium : des altérations de la matrice du cartilage articulaire, secondaires au vieillissement ou à des microtraumatismes répétés, une élévation des taux de pyrophosphates dans le cartilage articulaire, par hyperproduction et par diminution du catabolisme avec diminution de l’activité de la phosphatase alcaline.
Le déclenchement de la crise « pseudo-goutteuse » semble secondaire au passage des microcristaux de pyrophosphate de calcium dans le liquide synovial. Ces microcristaux activent les cellules de la membrane synoviale (les « synoviocytes ») qui libèrent des médiateurs de l’inflammation dans la cavité articulaire, tels que les cytokines pro-inflammatoires (IL-1, IL-6) et les facteurs chimiotactiques.
Quelles sont les causes de la chondrocalcinose articulaire ?
La chondrocalcinose articulaire est généralement sans cause connue, ou « idiopathique », mais elle peut être favorisée par l’association à une autre maladie comme : l’hémochromatose, l’hypercalcémie hypocalciurique familiale, l’hyperparathyroïdie, l’hypomagnésémie, l’hypophosphatémie, et la prise de certains médicaments : prise de tacrolimus et, probablement, de diurétiques de l’anse. Devant un cas précoce (moins de 60 ans), la recherche d’une de ces maladies est impérative.
L’association avec l’hyperparathyroïdie primitive est forte : 5 à 10 % des personnes atteintes de CCA ont une l’hyperparathyroïdie primitive et 15 à 30 % des personnes atteintes d’hyperparathyroïdie primitive ont une CCA. L’association avec l’hémochromatose génétique est certaine, puisque 20 à 40 % des personnes atteintes de cette maladie ont une CCA associée. De plus, les manifestations articulaires de la CCA s’associent à celles de l’hémochromatose génétique.
L’association avec l’hypophosphatémie congénitale et l’hypomagnésémie des syndromes de Bartter et de Gitelman est elle aussi probable, sans que l’on puisse l’affirmer.
Les formes familiales sont exceptionnelles, mais 2 anomalies génétiques sont désormais associées aux formes familiales sporadiques : la mutation du locus CCAL2 du chromosome 5p et la mutation du locus CCAL1 du chromosome 8. Elles sont caractérisées par un début précoce, des calcifications diffuses et une évolution sévère avec des détériorations articulaires. Il s’agit habituellement de maladies héréditaires, autosomiques dominantes, à pénétrance variable.
Quels sont les signes de la chondrocalcinose articulaire ?
En dehors de la chondrocalcinose sans signe apparent (« asymptomatique »), on reconnaît trois formes principales d’arthropathies à dépôts de cristaux de CPP, en fonction de leur déroulement dans le temps et des degrés d’inflammation et d’atteintes osseuses : forme inflammatoire aiguë récidivante, parfois appelées « pseudo-goutte » (atteinte inflammatoire aiguë mono- ou oligo-articulaire), forme inflammatoire chronique (atteinte des métacarpo-phalangiennes, des poignets et des genoux) et arthrose avec dépôt de chondrocalcinose (douleurs articulaires mécaniques chroniques avec modifications arthrosiques inhabituelles).
• La forme « pseudo-goutteuse » est la forme la plus typique : elle touche un malade sur 4. Il s’agit classiquement d’une monoarthrite aiguë, pouvant concerner n’importe quelle articulation. Le genou est le plus souvent atteint, suivi par ordre de fréquence par le poignet, l’épaule, la cheville et le coude. A la différence de la goutte vraie, l’articulation du gros orteil (1ère métatarso-phalangienne) est rarement touchée. Il n’existe le plus souvent aucun facteur déclenchant, bien qu’un facteur traumatique soit parfois retrouvé. Une fièvre est fréquemment observée. La douleur et la tuméfaction apparaissent brutalement et sont responsables d’une impotence fonctionnelle majeure. Un syndrome inflammatoire biologique est habituel. L’étude du liquide synovial permet le diagnostic de certitude en retrouvant les cristaux à bout carré en lumière polarisée.
• Dans 5 % des cas, la CCA se présente comme une « pseudopolyarthrite chronique » pouvant être destructrice. Bien que les petites articulations des doigts puissent être concernées, elle siège préférentiellement sur les moyennes et les grosses articulations. Un syndrome inflammatoire biologique est habituel. La positivité de la recherche du facteur rhumatoïde augmente avec l’âge et ne permet pas de différencier les deux maladies, bien qu’elle représente un élément en faveur de la polyarthrite rhumatoïde. Le caractère fréquemment asymétrique de l’atteinte, la distribution irrégulière des destructions articulaires et les signes propres de la CCA permettent habituellement de faire la part des choses. Néanmoins, la CCA et la polyarthrite rhumatoïde sont fréquentes chez le sujet âgé et peuvent être associées.
• La forme « pseudo-arthrosique » est la plus fréquente : elle touche un malade sur deux. Elle se manifeste par une atteinte dégénérative d’une ou plusieurs articulations, évoluant sur un mode chronique. Les douleurs sont de type mécanique et siègent sur les sites habituels de l’arthrose (genoux, base des pouces, interphalangiennes distales, rachis lombaire et cervical), mais aussi des sites inhabituels au cours de l’arthrose (métacarpo-phalangiennes, poignets, épaules et chevilles), dont l’atteinte fait rechercher de principe une arthropathie métabolique, type CCA. Les lésions radiologiques sont souvent importantes (aspect « pseudo-engrené »). Dans la moitié des cas, l’interrogatoire permet de retrouver des épisodes de pseudo-goutte dans les antécédents.
• Plus rare, la forme « pseudo-neurotrophique » est rare et se caractérise par l’importance des destructions ostéo-articulaires. Elle survient classiquement chez la femme âgée. Les douleurs articulaires sont intenses et s’accompagnent d’une impotence fonctionnelle majeure. Les grosses articulations sont le plus souvent concernées : les genoux et les épaules notamment, qui sont le siège d’épanchements articulaires permanents, souvent hémorragiques, au sein desquels sont observés les microcristaux de pyrophosphate de calcium. La hanche peut être le siège d’une « coxarthrose destructrice rapide ».
• La chondrocalcinose peut également toucher la colonne vertébrale avec des formes « pseudo-méningées » à la colonne cervicale, des formes epseudo-pottiquese (simulant une tuberculose articulaire ou « mal de Pott ») avec érosions des plateaux vertébraux et des scolioses évolutives de l’adulte.
• Elle peut se présenter sous le masque d’une tendinite, notamment achilléenne, pouvant se compliquer d’une rupture tendineuse ou d’une ténosynovite, pouvant concerner les fléchisseurs des doigts. Elle peut enfin se présenter sous la forme d’une bursite rétro-olécranienne, pré- ou sous-rotulienne ou rétro-calcanéenne.