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Les psys et l'argent

Thérapie : pourquoi payer pour aller mieux ?

Par Stanislas Deve

Consulter un psychothérapeute ou un psychanalyste a un coût non négligeable... qui fait partie du processus de soin. En quoi l’argent est-il un aspect central et nécessaire dans la relation thérapeutique ? Deux psys nous expliquent toute la symbolique du sou.

Miljan Živković / istock
Entre 50 et 70 euros. C’est la fourchette du prix moyen d’une consultation d’environ quarante minutes chez un psychologue. L’ardoise peut dépasser les 100 euros chez certains psychothérapeutes ou psychanalystes, notamment dans les grandes villes. Une somme importante que près d’un Français sur trois aurait déjà déboursée au moins une fois, selon un récent sondage YouGov pour Psychologies Magazine. Et, si l’on en croit les experts du sujet, c’est pour le bien-fondé de la thérapie : payer fait partie du processus de soin. Le neurologue et père de la psychanalyse Sigmund Freud parlait de « l’influence correctrice du paiement », tandis que le psychiatre et psychanalyste Jacques Lacan obligeait les patients qui ne venaient pas à leur consultation à la régler quand même. Mais alors pourquoi l’acte de payer est-il un aspect central et indispensable de la thérapie ? La psychothérapeute Catherine Aimelet-Perissol et la psychanalyste active Sophie Muller nous donnent quelques réponses pro bono.

- Mieux Vivre Santé : Pourquoi est-il essentiel de payer son psy ?

Catherine Aimelet-Perissol : C’est un principe à la fois biologique et contractuel. Biologique, car tout le système vivant est fondé sur le modèle « je reçois, je donne » : je mange et j’évacue, j’inspire et j’expire, je dors et je suis en éveil, etc. Le travail thérapeutique en est la prolongation, et si je reçois du soin sans donner en retour (du temps, de l’énergie... et de l’argent), alors il y a un déséquilibre qui, inconsciemment, infantilise le patient. En effet, la seule période durant laquelle l’être humain reçoit sans donner, c’est la petite enfance. Sans cette contrepartie, le patient est presque considéré comme un petit garçon ou une petite fille qui ne saurait se débrouiller seul. En payant, le patient devient une personne en capacité de s’émanciper, de se donner les moyens d’aller mieux.

Le principe est aussi contractuel. C’est un échange : le psy donne de son temps et de son expertise, le patient le rémunère en retour, ce qui permet au psy de continuer à donner. Payer, c’est éviter de se sentir symboliquement débiteur à l’égard du thérapeute, et donc pouvoir lui demander des comptes. En rémunérant son thérapeute, le patient achète l’exclusivité de ses compétences, de sa présence, de son écoute à toute épreuve, y compris l’écoute des idées noires voire des pensées suicidaires. L’important, c’est que le thérapeute précise le cadre. Certains font même signer un contrat aux patients pour fixer l’engagement, le tarif, la fréquence des séances, les conditions de paiement, les conséquences d’une absence...

Sophie Muller : Payer, c’est un engagement vis-à-vis de soi-même, un contrat que l’on passe avec soi-même pour aller mieux : on investit du temps et de l’argent pour soi, on capitalise sur cet espace-temps pour prendre soin de sa personne. Souvent, cela correspond aussi à un moment d’autonomie par rapport à la famille : le jeune patient qui paye lui-même sa thérapie commence à s’émanciper. En pratique, c’est également intéressant pour un patient très dépensier, car devoir consacrer de l’argent à la thérapie va, de fait, limiter ses achats compulsifs. Cela l’oblige à prioriser son budget, ce qui est déjà un premier pas dans le soin. Par ailleurs, l'acte de payer est aussi une façon de ne pas confondre la relation avec le thérapeute, qui ne vous écoute pas comme le ferait un ami ou un membre de sa famille : c’est avant tout une relation de travail, nul besoin de bien s’entendre pour avancer. Payer, c’est garantir que le thérapeute ne va pas réagir à chaud ou donner son avis comme dans un échange classique avec un proche : cela permet de garder la bonne distance.

- Peut-on et doit-on négocier les tarifs ?

CAP : Un thérapeute lambda ne devrait pas « négocier » ces tarifs, mais il peut les adapter en fonction de la situation personnelle du patient. Par exemple, si le patient est entre deux emplois et demande à baisser le prix afin de poursuivre la thérapie, alors le psy peut accepter sous conditions (« jusqu’à ce que votre situation soit réglée » ou « que vos revenus soient plus conséquents »). Mais ce ne doit pas être une négociation : la démarche doit être à la discrétion du thérapeute.

SM : Il faut parler ouvertement du tarif dès la première séance, notamment pour fixer un minimum qui ne dévalorise pas le travail du psy. Mais il faut aussi s’adapter aux patients, par exemple aux étudiants qui travaillent et trouvent la force de payer eux-mêmes. Ceux-là avancent souvent très vite dans leur thérapie, l’argent faisant partie des facteurs qui les poussent à bouger, notamment professionnellement. A l’inverse, d’autres patients gagnent très bien leur vie et sont moins touchés par leur « budget thérapie », à tel point que certains se permettent souvent d’annuler des séances au dernier moment : il peut alors être intéressant d’augmenter le prix de leurs consultations pour coller proportionnellement à leur niveau de vie. Non pas tant pour le psy, mais pour le patient, afin qu’il « sente passer » le coût de la thérapie.

- Pourquoi faut-il faire payer les patients quand ils ne viennent pas ou oublient la séance ?

SM : Quand on annule moins de 48 heures avant, la séance est due. Ne pas venir ou oublier la séance, c’est déjà un acte qui engage la personne et qui concerne sa thérapie. Devoir payer la séance annulée rappelle au patient que c’est un engagement bilatéral, une question de respect contractuel. Cela permet d’ailleurs à certains patients de franchir une étape, de réaliser qu’ils ont un problème avec le cadre – que ce soit le cadre pour soi ou avec les autres.

- Pourquoi certains psys exigent-ils d’être réglés en espèces ?

CAP : Le fait de retirer de l’argent (espèces) ou l’acte d’écrire la somme (sur un chèque) est beaucoup plus engageant qu’un virement ou un « bip » de carte bancaire. On est toujours dans le registre de l’engagement et de l’investissement corporel.

SM : Payer par carte, c’est presque payer en virtuel, alors que le cash est plus concret, plus matériel. Le fait même d’aller au distributeur pour retirer – ce qui peut agacer certains patients – est déjà en soi un rituel : la séance commence presque à ce moment-là.

- Y a-t-il une bonne manière de payer en espèces ? De la main à la main, sur la table, dans une enveloppe... ?

CAP : Il n’y a pas de bonne manière à proprement parler. L’idée est plutôt de laisser au patient la liberté de payer de telle ou telle façon, quitte à l’interroger plus tard sur sa méthode. Prenons par exemple un patient qui dépose toujours les billets sous un livre avant de démarrer la séance, ou un autre qui oublie systématiquement de régler la consultation : il peut être pertinent, à un moment donné, de lui demander pourquoi il agit ainsi, de l’interroger sur les raisons qui le poussent à payer de telle ou telle manière. Ses réponses font partie de la recherche thérapeutique.

- Est-ce l’argent ou la rétribution qui compte ? Peut-on imaginer payer avec autre chose que de l’argent, comme un service ou des denrées ?

CAP : Pourquoi pas, mais l’argent a une dimension symbolique plus concrète : c’est d'abord un moyen, et en payant 70 euros à un psy, on se sépare de tout ce qu’on aurait pu s’offrir avec cette somme. Sans compter qu’avec l’argent, il y a un côté performatif : le fait de payer contribue à ce que le travail thérapeutique soit jugé utile.

SM : L’argent correspond à un investissement personnel : le patient consacre à la thérapie quelque chose qu’il ne consacre pas à lui-même autrement. C’est notamment efficace pour les patients qui souffrent d’addiction par exemple : c’est toujours une somme qu’ils ne consacreront pas à leur objet d'addiction...

- Que penser des thérapies gratuites, comme celles prises en charge par l’hôpital ?

CAP : Si l’on est dans un travail d’analyse, cela favorise selon moi la dimension infantilisante : n’ayant rien à débourser, le patient s’installe plus volontiers dans une forme de plainte ou de réclamation que lorsqu’il paye. Ou à l’inverse, il peut s’empêcher de se plaindre et de solliciter le thérapeute pour aller mieux, car il estime que, non rémunéré par le patient lui-même (mais par l’Etat), le psy n’est pas vraiment là pour le soulager. Cela peut en revanche être très utile dans une situation de crise, pour un travail de soutien, une médecine d’urgence psychiatrique.