- Mieux Vivre Santé : Les écrans sont aujourd’hui omniprésents et les enfants n’y échappent pas. Quelles conséquences cela a-t-il sur la lecture ?
Sarah Sauquet : En tant qu’enseignante, je m'aperçois que l’impact est palpable. On entend souvent parler du problème de l’orthographe, du vocabulaire ou de la déperdition de la langue, mais le principal enjeu est le temps d’attention. Lire un livre, c’est s’isoler dans une bulle. Or, avec les écrans, les notifications, les images, il devient plus difficile pour eux de rester concentré sur un texte, qui demande un certain effort. Ou encore de faire appel à leur imagination, car avec les images, tout est déjà donné.- On entend souvent dire que les enfants lisent moins qu’avant..
Oui et non. Ils lisent beaucoup de mangas, de bandes dessinées, de romans graphiques, mais ils lisent moins de livres classiques. Et ce qu’ils ont l’habitude de lire manque de qualité, de profondeur, de constance : les contenus sont concis, les phrases simples, la syntaxe basique. La perte de vocabulaire rend plus difficile de se plonger dans du Molière ou du Racine… Aujourd’hui, les enfants n’ont pas forcément conscience que les mots ont une portée – ce que nous apprend la lecture.- En quoi la lecture est-elle essentielle pour le développement de l’enfant ?
La lecture apprend à développer la langue, et donc la pensée. Elle permet aussi de développer l’imaginaire et l’empathie de l'enfant : tel ou tel personnage vit des expériences très différentes des siennes, ou difficiles comme le deuil ou la maladie, ce qui peut changer le regard qu'il porte sur la vie. Sans compter la confiance en soi (via l’identification aux personnages), la curiosité et même le libre-arbitre, car lire, c’est aussi choisir par soi-même, c'est se faire une autre idée que celle véhiculée par les médias ou les parents.- Donner le goût de la lecture, ça commence quand ?
Il n’y a pas de règle, mais l’éducation n'y est pas pour rien : un enfant qui voit ses parents lire aura tendance à vouloir lire aussi. Lui lire des histoires dès son plus jeune âge est un des meilleurs rituels pour lui transmettre le goût des mots. Et il faut continuer même après qu’il a appris à lire : cela permet d'affiner sa maîtrise du vocabulaire, de lui faire découvrir des mots plus complexes que ceux appris à l’école. Le mieux étant de lui dire précisément le texte en théâtralisant les histoires. Et de prendre soin d’expliquer tout le contenu, tous les mots, les ressentis du personnage, tout en interrogeant l’enfant sur ses propres émotions (« Et toi, qu’est-ce que tu aurais ressenti à sa place ? »), et ainsi faire le lien entre lui et l’histoire. Cette lecture ritualisée du soir peut s’envisager comme une redécouverte du livre par les parents, mais aussi comme un moment d’échange privilégié avec l’enfant. A noter que les livres audios, ça fonctionne aussi !- Que peuvent faire les parents pour lui (re)donner envie de lire ?
Aller à la bibliothèque ! Un livre est un objet qui coûte un certain prix et, lorsqu’on l’achète, il y a une certaine pression à le lire voire à l’apprécier, alors qu’à la bibliothèque, gratuite, on a accès à des milliers de livres qu’on peut emprunter, rendre, ne pas forcément terminer… On a le choix. Cette notion de plaisir et d’absence d’obligation est essentielle. Cela permet de moins sacraliser le livre.Autre conseil, aller vers les envies de son enfant : il doit pouvoir lire ce qu’il veut, en fonction de ses passions, quitte à sortir du cadre scolaire ou familial, c’est-à-dire de ce que les autres voudraient qu’il lise. Même si cela ne le mène pas vers de la grande littérature... Cela lui donnera beaucoup plus d’autonomie dans ses lectures. Il faut aussi lui faire confiance, car la relation du lecteur au livre est très personnelle, chacun y trouve des enseignements différents. Donner un livre à lire à un enfant, c’est un peu le « confier » à un adulte qu’il ne connaît pas, un adulte qui a ses valeurs, ses idées, sa vision. Pour l’aiguiller dans ses choix, on peut faire confiance à l’expertise des libraires, des bibliothécaires, des professionnels qui connaissent leur sujet.
Ritualiser des temps de lecture en famille, sans téléphone ni autre distraction, peut aider l’enfant à prendre l’habitude de la lecture. Un après-midi par semaine, par exemple, ou même quinze minutes, chaque soir, c’est déjà pas mal : ne soyons pas trop ambitieux au départ, sinon on risque de le décourager !
Enfin, et surtout, ne pas obliger à lire à tout prix : plus on force, plus on dramatise, plus on met d’enjeux et d’affect… et plus ça va être compliqué de lui faire aimer la lecture.