Le médecin Michel Ruel, formateur en hypnose de professionnels de santé, vice-président de l'AFHYP et auteur de Se soigner avec l’hypnose et l’autohypnose (éd. Leduc, 2017), et l’infirmier Pierre-François Gonot, de la Société française d’hypnose, nous éclairent sur les mécanismes et enjeux de cette technique ancestrale faisant appel aux ressources insoupçonnées de notre cerveau.
Dr Michel Ruel : En matière thérapeutique, l’hypnose est un mode de relation, un processus relationnel entre le patient, qui a des ressources propres, et le soignant, qui va l’aider à utiliser ces ressources. Lorsqu’un patient vient pour une plainte, le thérapeute va s’intéresser non pas au problème mais à la solution : quels changements il souhaite dans sa vie et comment il peut s’appuyer sur ses ressources, ses relations aux autres, sur ce qu’il a appris, etc. Ensemble, ils font un cheminement pour sortir le patient de sa vision figée et centrée sur ses difficultés et le réorienter vers ses objectifs. L’hypnose est un pas de côté, un changement de point de vue, après un recadrage de la plainte : on ne fait pas de l’hypnose, par exemple, pour ne plus être stressé, on fait de l’hypnose pour être détendu, on n’est pas déprimé, on est aux prises avec une dépression. Attention, le terme « hypnothérapeute » doit éveiller la méfiance : est-ce le moyen de dissimuler l’absence de qualification et de diplôme d’État ? L’hypnose n’est pas du coaching : elle doit être pratiquée par un professionnel de santé, qui l’utilise dans son domaine de compétences propre.
Dr Michel Ruel : A l’hôpital, ou au cabinet médical pour un soin, une séance d’hypnose peut être beaucoup plus rapide. Pour soulager la douleur (hypnoanalgésie), infirmières ou médecins peuvent ainsi induire une transe hypnotique au patient qui reçoit un soin (pansement, prise de sang, pose de stérilet...) en l’espace de deux minutes ! Quand la séance d’hypnose a pour but un changement de vie, notamment en psychothérapie, la séance est bien plus longue, la transe n’est pas nécessairement profonde, car dans la relation de confiance créée avec le patient, ce qui compte est l’adéquation des suggestions et des métaphores aux besoins du patient. Pendant la séance, on peut communiquer avec des gestes et des mots, car l’hypnose est un processus d’activation cérébrale et de conscience élargie, pas un état figé avec un bouton « on/off ».
Dr Michel Ruel : On sait, grâce à l’IRM « fonctionnelle », que certaines zones du cerveau s’activent sous l’effet de l’hypnose. Il y a des preuves objectives de son action sur l’organisme : modification de paramètres biologiques, réduction de l’inflammation post-opératoire, réactions cutanées, etc. L’hypnose est particulièrement efficace pour augmenter le confort : soulagement des douleurs (des maladies, de l’accouchement, des soins...), observance des traitements, diminution des vomissements liés aux chimiothérapies... Par ailleurs, la psychothérapie avec hypnose permet d’éviter ou d’arrêter les somnifères, les anxiolytiques ou encore les antidépresseurs, ces derniers étant bien trop prescrits et donnant lieu à plus de rechutes que les thérapies.
Dr Michel Ruel : Il est possible d’aider une personne motivée à arrêter le tabac. Comme dans d’autres utilisations de l’hypnose, il faut personnaliser la séance, éviter les suggestions utilisant la peur ou la contrainte, résister à toute tentation d’emprise : c’est le patient qui fait son chemin et nous ne sommes que des guides, respectueux de la vitesse de sa progression. Il faut d’abord changer sa perception, chercher dans son vécu ce qui va lui permettre de prendre conscience qu’il a les capacités pour arrêter le tabac, en lui faisant revivre ses expériences de succès par exemple. Nul besoin de mentionner le mot cigarette au cours de la séance... Le but thérapeutique est atteint grâce à la démarche (aller consulter), à la relation de confiance patient-thérapeute, à la séance d’hypnose (qui va activer le cerveau), aux suggestions ou métaphores, et enfin à l’autohypnose que fera le patient.
Pierre-François Gonot : L’hypnose est un état naturel : chacun de nous a une période d’hypnose toutes les 40 minutes. Le moindre battement de paupières engendre une sorte de « reset » (redémarrage) du cerveau. L’Université de Stanford a établi en 1959 une échelle de « suggestibilité hypnotique » : 25 % des gens seraient très suggestibles, et 25 % réfractaires à l’hypnose car dans l’hyper-contrôle permanent. Cela dit, même ces derniers peuvent être hypnotisés, en utilisant leur résistance « contre » eux : par exemple, je leur dis d’abord « Vous êtes plus fort que moi, je ne peux pas vous induire », puis au moment de les raccompagner à la porte, je les tire par la main (au lieu de la leur serrer) et leur fais une suggestion directe comme « Vous voulez vous rasseoir et faire une séance productive ». Je continue ensuite à les tenir fermement par la main, et en général, ils me suivent...
Pierre-François Gonot : Ces spectacles n’ont évidemment pas de but médical, mais la pratique est véritable. En fait, les gens qui montent sur scène ont souvent déjà été induits en amont. Par exemple, en coulisses ou devant la salle de spectacle : l’hypnotiseur leur fait une suggestion directe de type « on va se voir sur scène tout à l’heure, et quand je mettrai ma main sur votre épaule et vous appellerai par votre prénom, alors vous retomberez dans l’état d’hypnose dans lequel vous êtes maintenant, et je vous inviterai à vous donner en spectacle. C’est d’accord ? ». Cela fonctionne d’autant plus efficacement qu’une personne qui est hypnotisée une première fois, puis qui sort de son état de transe, puis qui y est replongée une seconde fois, y plongera encore plus profondément. Il y a toutefois des exceptions : la suggestion du cochon ne pourrait pas fonctionner, par exemple, sur quelqu’un de confession musulmane, car l’évocation même de l’animal, qui contrevient à ses convictions les plus intimes, le fera immédiatement sortir de son état d’hypnose. Il y a donc un minimum de mise en scène et de travail en amont, mais ce n’est pas de la supercherie.
Pour trouver un hypnotiseur : selon un rapport de l’Inserm de 2013, un bon praticien doit être titulaire d’un diplôme universitaire médical / thérapeutique, ou avoir suivi une formation privée délivrée par un institut affilié à la Confédération francophone d’hypnose et thérapies brèves, laquelle a d’ailleurs publié un Livre blanc pour aider à faire son choix. Mais le bouche-à-oreille est aussi une valeur sûre : demandez à vos proches déjà induits ! « Aie confiance, crois en [eux] », dirait le serpent Kaa qui hypnotise Mowgli dans Le livre de la Jungle, de Walt Disney.
- Mieux Vivre Santé : Qu’est-ce que l’hypnose ?
Pierre-François Gonot : Toutes les écoles d’hypnose ont leur approche. De mon côté, je donne une définition simple à mes patients : quand vous êtes « dans la lune », rêveur, c’est-à-dire là sans être là, vous êtes déjà en état d’hypnose – l’enfant entre facilement en hypnose. La conscience n’est pas réduite comme lorsqu’on est endormi : l’hypnose est un état modifié de conscience (EMC), au même titre que la méditation ou les expériences mystiques... On parle de « transe hypnotique », qui désigne une altération de la vigilance normale (celle qui nous permet de raisonner au quotidien) tout en gardant un pied dans la réalité. Il faut bien comprendre qu’on ne perd pas le contrôle ou son esprit critique quand on est hypnotisé.Dr Michel Ruel : En matière thérapeutique, l’hypnose est un mode de relation, un processus relationnel entre le patient, qui a des ressources propres, et le soignant, qui va l’aider à utiliser ces ressources. Lorsqu’un patient vient pour une plainte, le thérapeute va s’intéresser non pas au problème mais à la solution : quels changements il souhaite dans sa vie et comment il peut s’appuyer sur ses ressources, ses relations aux autres, sur ce qu’il a appris, etc. Ensemble, ils font un cheminement pour sortir le patient de sa vision figée et centrée sur ses difficultés et le réorienter vers ses objectifs. L’hypnose est un pas de côté, un changement de point de vue, après un recadrage de la plainte : on ne fait pas de l’hypnose, par exemple, pour ne plus être stressé, on fait de l’hypnose pour être détendu, on n’est pas déprimé, on est aux prises avec une dépression. Attention, le terme « hypnothérapeute » doit éveiller la méfiance : est-ce le moyen de dissimuler l’absence de qualification et de diplôme d’État ? L’hypnose n’est pas du coaching : elle doit être pratiquée par un professionnel de santé, qui l’utilise dans son domaine de compétences propre.
- Comment se déroule une séance ?
Pierre-François Gonot : Une séance d’hypnose peut durer entre 30 minutes et 1 heure. Elle commence par une anamnèse, c’est-à-dire un entretien avec le patient pour déterminer sa problématique et établir une stratégie adaptée. La deuxième phase est l’induction : on propose au patient de focaliser son attention sur quelque chose d'extérieur (son environnement externe, comme une musique douce ou une voix monocorde), avant de lui demander de se concentrer sur quelque chose de plus intérieur, comme sa respiration ou une zone de son corps. C’est ce passage de la focalisation externe à la focalisation interne qui provoque une bascule vers l’état hypnotique : le cerveau, qui va considérer trop compliqué de rester dans un état de conscience focalisé, va se mettre « dans la lune », dans un monde à part. Pour vérifier l’état du patient, le soignant se base sur des signaux dits idéomoteurs (il en existe 32), comme lever la main ou croiser les doigts : au-delà de trois, c’est certain qu’il est dans un état hypnotique. Ensuite, le thérapeute peut soit approfondir la transe hypnotique (le patient est physiquement à la limite de l’état de sommeil), soit rester dans l’hypnose conversationnelle (le patient peut communiquer) : c’est là qu’intervient le pouvoir de suggestion.Dr Michel Ruel : A l’hôpital, ou au cabinet médical pour un soin, une séance d’hypnose peut être beaucoup plus rapide. Pour soulager la douleur (hypnoanalgésie), infirmières ou médecins peuvent ainsi induire une transe hypnotique au patient qui reçoit un soin (pansement, prise de sang, pose de stérilet...) en l’espace de deux minutes ! Quand la séance d’hypnose a pour but un changement de vie, notamment en psychothérapie, la séance est bien plus longue, la transe n’est pas nécessairement profonde, car dans la relation de confiance créée avec le patient, ce qui compte est l’adéquation des suggestions et des métaphores aux besoins du patient. Pendant la séance, on peut communiquer avec des gestes et des mots, car l’hypnose est un processus d’activation cérébrale et de conscience élargie, pas un état figé avec un bouton « on/off ».
- Quels sont les effets thérapeutiques de l’hypnose ?
Pierre-François Gonot : L’hypnose peut soit constituer le traitement lui-même, soit favoriser le traitement prescrit par le médecin. Elle a fait ses preuves pour, ou plutôt contre une série de maux : les douleurs (elle complète l’anesthésie, en particulier en chirurgie dentaire), les acouphènes, les troubles alimentaires (anorexie, boulimie...), les addictions (tabac, jeux, alcool...), les troubles psychologiques (stress, phobies, TOC, troubles de la mémoire, mais également impuissance sexuelle), les troubles digestifs comme les ulcères, les insomnies, la dépression... En revanche, l’hypnose ne peut pas fonctionner pour soigner les maladies métaboliques telles que le cancer, pour traiter les troubles psychiatriques graves de type schizophrénie, ou encore pour sevrer les personnes accros aux drogues dures.Dr Michel Ruel : On sait, grâce à l’IRM « fonctionnelle », que certaines zones du cerveau s’activent sous l’effet de l’hypnose. Il y a des preuves objectives de son action sur l’organisme : modification de paramètres biologiques, réduction de l’inflammation post-opératoire, réactions cutanées, etc. L’hypnose est particulièrement efficace pour augmenter le confort : soulagement des douleurs (des maladies, de l’accouchement, des soins...), observance des traitements, diminution des vomissements liés aux chimiothérapies... Par ailleurs, la psychothérapie avec hypnose permet d’éviter ou d’arrêter les somnifères, les anxiolytiques ou encore les antidépresseurs, ces derniers étant bien trop prescrits et donnant lieu à plus de rechutes que les thérapies.
- Une des principales raisons de consultation d’hypnose est l’arrêt du tabac. Comment ça marche ?
Pierre-François Gonot : Le fumeur adore fumer, mais il sait intrinsèquement que c’est mauvais pour la santé. Ce que va faire le thérapeute, c’est donc rendre à nouveau « visible » le fait que la cigarette est nocive, sur la base de suggestions directes (« Quand vous sortirez de mon cabinet, vous serez dégoûté du tabac ») ou indirectes, avec des métaphores telles que « votre cerveau est un ordinateur, et le programme qui vous fait aimer la cigarette va maintenant être désinstallé après redémarrage »). Il va ensuite passer à la phase d’ancrage, afin de pérenniser la résolution du patient, de le projeter dans le futur (« A partir de ce soir, vous vous se sentirez beaucoup mieux sans tabac, et tout le monde va s’en apercevoir »). A la fin de la séance, le patient « se réveille » en douceur, de lui-même ou au terme d’un décompte, puis je l’invite à prendre des repères visuels et temporels pour le faire revenir à la réalité.Dr Michel Ruel : Il est possible d’aider une personne motivée à arrêter le tabac. Comme dans d’autres utilisations de l’hypnose, il faut personnaliser la séance, éviter les suggestions utilisant la peur ou la contrainte, résister à toute tentation d’emprise : c’est le patient qui fait son chemin et nous ne sommes que des guides, respectueux de la vitesse de sa progression. Il faut d’abord changer sa perception, chercher dans son vécu ce qui va lui permettre de prendre conscience qu’il a les capacités pour arrêter le tabac, en lui faisant revivre ses expériences de succès par exemple. Nul besoin de mentionner le mot cigarette au cours de la séance... Le but thérapeutique est atteint grâce à la démarche (aller consulter), à la relation de confiance patient-thérapeute, à la séance d’hypnose (qui va activer le cerveau), aux suggestions ou métaphores, et enfin à l’autohypnose que fera le patient.
- Tout le monde est-il hypnotisable, et capable d’hypnotiser ?
Dr Michel Ruel : A l’exception des personnes psychotiques, tout le monde peut être hypnotisé à condition d’être motivé : il faut avoir un désir de changement. Cela fonctionne particulièrement bien chez les patients en soins palliatifs, qui souhaitent un peu de confort pour leurs derniers jours. Par ailleurs, tout le monde est capable d’hypnotiser, il suffit d’en connaître les mécanismes. Voyez les hypnotiseurs de rue, qui sont dangereux car ils utilisent la surprise : on subit leurs pratiques sans choix ni préparation. Au contraire, dans l’hypnose de soin sont bannies l’emprise et les relations de pouvoir. Il faut avoir une compétence de soignant, rester en position basse – c’est le patient qui décide son but et qui fait le travail – et procéder avec finesse, respect, éthique. Dans les cas difficiles, comme les patients qui ont subi des traumatismes, une solide compétence de psychothérapeute est nécessaire.Pierre-François Gonot : L’hypnose est un état naturel : chacun de nous a une période d’hypnose toutes les 40 minutes. Le moindre battement de paupières engendre une sorte de « reset » (redémarrage) du cerveau. L’Université de Stanford a établi en 1959 une échelle de « suggestibilité hypnotique » : 25 % des gens seraient très suggestibles, et 25 % réfractaires à l’hypnose car dans l’hyper-contrôle permanent. Cela dit, même ces derniers peuvent être hypnotisés, en utilisant leur résistance « contre » eux : par exemple, je leur dis d’abord « Vous êtes plus fort que moi, je ne peux pas vous induire », puis au moment de les raccompagner à la porte, je les tire par la main (au lieu de la leur serrer) et leur fais une suggestion directe comme « Vous voulez vous rasseoir et faire une séance productive ». Je continue ensuite à les tenir fermement par la main, et en général, ils me suivent...
- Que penser de l'hypnose de spectacle : supercherie ou y a-t-il du vrai ?
Dr Michel Ruel : Quand on est hypnotiseur de spectacle, il est facile de repérer les personnes qui sont les plus suggestibles. Les gens viennent pour une expérience hors du commun, pour être des vedettes : fascinés par l’hypnotiseur, ils sont « d’accord » pour être hypnotisés ! Et, cela mêlé à des techniques de confusion et d’emprise, ils peuvent partir dans un état de transe hypnotique, qui les fera abdiquer jusqu’à faire des choses absurdes. Ce n’est pas étonnant si vous considérez à quel point, dans la vie courante, l’influence est inévitable et puissante. Il faut avoir conscience du pouvoir des mots et des gestes. On ne mesure pas l’impact que peuvent avoir les prophéties autoréalisatrices : quand un parent dit à son enfant « Encore une mauvaise note, tu ne feras jamais rien de ta vie », il y a de fortes chances que cela se produise. La chose qu’on évoque devient une réalité.Pierre-François Gonot : Ces spectacles n’ont évidemment pas de but médical, mais la pratique est véritable. En fait, les gens qui montent sur scène ont souvent déjà été induits en amont. Par exemple, en coulisses ou devant la salle de spectacle : l’hypnotiseur leur fait une suggestion directe de type « on va se voir sur scène tout à l’heure, et quand je mettrai ma main sur votre épaule et vous appellerai par votre prénom, alors vous retomberez dans l’état d’hypnose dans lequel vous êtes maintenant, et je vous inviterai à vous donner en spectacle. C’est d’accord ? ». Cela fonctionne d’autant plus efficacement qu’une personne qui est hypnotisée une première fois, puis qui sort de son état de transe, puis qui y est replongée une seconde fois, y plongera encore plus profondément. Il y a toutefois des exceptions : la suggestion du cochon ne pourrait pas fonctionner, par exemple, sur quelqu’un de confession musulmane, car l’évocation même de l’animal, qui contrevient à ses convictions les plus intimes, le fera immédiatement sortir de son état d’hypnose. Il y a donc un minimum de mise en scène et de travail en amont, mais ce n’est pas de la supercherie.
Pour trouver un hypnotiseur : selon un rapport de l’Inserm de 2013, un bon praticien doit être titulaire d’un diplôme universitaire médical / thérapeutique, ou avoir suivi une formation privée délivrée par un institut affilié à la Confédération francophone d’hypnose et thérapies brèves, laquelle a d’ailleurs publié un Livre blanc pour aider à faire son choix. Mais le bouche-à-oreille est aussi une valeur sûre : demandez à vos proches déjà induits ! « Aie confiance, crois en [eux] », dirait le serpent Kaa qui hypnotise Mowgli dans Le livre de la Jungle, de Walt Disney.