Jérôme Palazzolo est médecin psychiatre et auteur de Je me libère de mes phobies (éd. Puf, 2016). Edith Rosset est psychologue en thérapie cognitive et comportementale, auteure de Se libérer du regard des autres (éd. Jouvence, 2018).
Edith Rosset : Il y a d’abord un facteur biologique : pour survivre, les humains se développent par interaction avec les autres, et certains sont par nature plus empathiques, plus sensibles au ressenti et à la conscience de l’autre. Puis, un facteur psychologique : la confiance en soi, l’estime de soi, qui jouent en faveur ou en défaveur des interactions. Et enfin, un facteur social : le contexte culturel, les normes éducatives, les codes qui varient en fonction des milieux sociaux. C’est la combinaison de ces trois dimensions qui fait qu’on a plus ou moins peur du regard des autres, un trouble aussi appelé blemmophobie.
ER : On constate aujourd’hui que la notoriété ou la popularité donnent plus de privilèges et de confort que ce qu’on peut acquérir par le travail ou la culture. Même à performances égales, c’est la popularité qui prévaut, comme dans la cour de récréation, et c’est d’elle dont dépend notre survie. La peur d’être isolé, et donc de ne pas survivre, a pour effet de renforcer l’importance qu’on accorde au regard des autres. C’est un cercle vicieux : plus on a peur du regard des autres, plus on s’isole, et plus on en a peur. L’évitement est la source même du problème : pour éviter de déplaire ou d’être mal jugé, on évite d’être soi-même, authentique. On vit caché derrière un masque social permanent, qui stresse et épuise, et qui donc fragilise.
JP : Au lieu de tourner les caméras vers l’extérieur, tournez-les vers l’intérieur, vers vous. L’idée est de s’auto-juger avec bienveillance, d’arrêter de penser que ses actions sont forcément sujettes à controverse ou mal vues par autrui. Si on se juge soi-même un peu mieux, on sera moins enclin à se juger durement au travers du regard des autres. Pour redorer sa confiance, on peut notamment jouer le journaliste, en demandant à des proches (famille, amis, voire collègues) ce qu’ils pensent de nous, comment ils nous trouvent, quelles sont nos qualités et nos défauts... L’idée est de prendre les réponses telles quelles, sans les juger, sans les interpréter avec des réflexions du type « si ma mère me dit charismatique, c’est parce que c’est ma mère, qu’elle veut me faire plaisir, etc. ».
JP : Avec les « expositions in vivo », on invite la personne à s’exposer dans la vraie vie aux situations qui la stressent, comme le regard d’autrui, puis à évaluer ses résultats. Après une conférence que vous avez tenue devant vos collègues, par exemple, demandez-leur ce qu’ils en ont pensé. Est-ce encourageant ? Est-ce qu’ils me félicitent ou me conseillent pour la prochaine fois ? N'interprétez pas leurs réponses, prenez-les comme elles viennent ! Ce faisant, vous entrerez dans une dynamique de renforcement positif : parce que vous avez tiré bénéfice d’un certain type de comportement (parler devant une assemblée), vous aurez automatiquement tendance à le refaire plus facilement. L’objectif est de reformater votre cerveau : mettre de côté l’aspect émotionnel (pour oublier un peu son narcissisme et les interprétations) et se concentrer sur l’aspect purement cognitif (la pensée, la raison, l’évaluation).
ER : Le jugement est une réaction reptilienne naturelle : quand on ne connaît pas, on juge pour aller au plus vite. Mais le jugement est fugace, il repart aussi vite qu’il est arrivé, il ne dure pas (ou sinon, vous êtes en compagnie d’une personnalité malveillante ou toxique !). L’enjeu, c’est donc d’apprendre à ne pas le fuir, à l’accepter, pour laisser à l’autre le temps de nous connaître mieux. Il faut prendre conscience que le jugement de l’autre n’est qu’un regard, comme le vôtre sur lui. L’autre ne doit pas être un miroir de soi, simplement une personne avec laquelle je veux avoir une communication constructive, tisser des liens, bâtir une relation sans calculs. Et si ce n'est pas possible car vous n’avez pas d’atomes crochus, il faut accepter que ce n’est pas grave ! On ne peut pas plaire à tout le monde.
- Mieux Vivre Santé : Pourquoi se préoccupe-t-on autant du regard d'autrui ?
Dr Jérôme Palazzolo : C’est dans notre nature, l’homme est un animal social. Selon la « pyramide des besoins » de Maslow, le fait de s’accomplir soi-même passe par la satisfaction des besoins d’appartenance à une communauté et de reconnaissance par ses pairs. Autrement dit, pour se sentir bien dans sa peau, chacun de nous a besoin d’être reconnu par ceux qui l’entourent. On peut difficilement faire sans, et ceux qui disent être insensibles au regard des autres se mentent à eux-mêmes ! Le problème, c’est quand cette préoccupation du regard d’autrui pousse à se demander constamment ce que l’autre pense de nous, de nos propos, de notre apparence... Dans le pire des cas, cela peut même devenir pathologique et se traduire par la phobie sociale, qui concerne environ 5 % de la population. C’est-à-dire une peur panique sans objet : rien que le fait d’anticiper qu’on peut être mal jugé suffit à déclencher l’anxiété. Ce qui donne souvent lieu à des stratégies d’évitement : on évite les situations qui risquent de nous mettre dans cet état d’angoisse.Edith Rosset : Il y a d’abord un facteur biologique : pour survivre, les humains se développent par interaction avec les autres, et certains sont par nature plus empathiques, plus sensibles au ressenti et à la conscience de l’autre. Puis, un facteur psychologique : la confiance en soi, l’estime de soi, qui jouent en faveur ou en défaveur des interactions. Et enfin, un facteur social : le contexte culturel, les normes éducatives, les codes qui varient en fonction des milieux sociaux. C’est la combinaison de ces trois dimensions qui fait qu’on a plus ou moins peur du regard des autres, un trouble aussi appelé blemmophobie.
- Il faut dire que la société actuelle, empreinte de narcissisme, nous rend plus que jamais soucieux du regard des autres...
JP : Complètement ! Tout est fait pour encourager ce narcissisme : société de l’image et de la comparaison, réseaux sociaux qui conditionnent à vouloir être « liké » par les autres. Nous sommes beaucoup plus soucieux de notre apparence aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Cela passe par le culte du corps, mais aussi par l’image sociale qu’on veut renvoyer : est-on un bon citoyen ? donne-t-on aux démunis ? fait-on attention à l’environnement ? Notre image devient plus importante que la réalité. Ce narcissisme est certes naturel (on préfère arriver à une fête en étant applaudi qu’en étant ignoré...), mais il est crucial de ne pas se faire dépasser par cette préoccupation du jugement d’autrui. Car, à terme, on risque de se perdre dans une dynamique de projection : si je pense que l’autre attend de moi que je me comporte de telle façon, alors j’aurai tendance à me comporter de cette façon – quand bien même l’autre n’attend absolument rien ! Lorsqu’on est trop dépendant du regard de l’autre, on finit par ne plus s’appartenir du tout. On est dans le déni de soi.ER : On constate aujourd’hui que la notoriété ou la popularité donnent plus de privilèges et de confort que ce qu’on peut acquérir par le travail ou la culture. Même à performances égales, c’est la popularité qui prévaut, comme dans la cour de récréation, et c’est d’elle dont dépend notre survie. La peur d’être isolé, et donc de ne pas survivre, a pour effet de renforcer l’importance qu’on accorde au regard des autres. C’est un cercle vicieux : plus on a peur du regard des autres, plus on s’isole, et plus on en a peur. L’évitement est la source même du problème : pour éviter de déplaire ou d’être mal jugé, on évite d’être soi-même, authentique. On vit caché derrière un masque social permanent, qui stresse et épuise, et qui donc fragilise.
- Comment accorder moins d’importance au jugement d'autrui ?
ER : Il faut d’abord apprendre à se libérer de son propre besoin d’approbation des autres. Ce qui implique de mieux se connaître, de se faire ses propres opinions, d’être à l’écoute de ses valeurs individuelles. Pour commencer, oubliez les formulations de type « il faut que je fasse ça » ou « je dois être comme ci », trop associées à ce que l’autre attend de moi, et donc sources de stress et de malaise. Préférez plutôt les « je tiens à ce que », « j’ai besoin que » ou « c’est important pour moi que » : d’une part, cela crée du lien avec l’interlocuteur, qui peut alors réagir en fonction de ses propres besoins à lui, et d’autre part, cela acte que vos besoins vous appartiennent en tant que tels. En se recentrant sur son propre ressenti, on évite de mettre en cause les autres. C’est un peu contre-intuitif, mais plus on dit « je », moins on est focalisé sur soi-même et sur ce que les autres pensent ou devraient penser de moi...JP : Au lieu de tourner les caméras vers l’extérieur, tournez-les vers l’intérieur, vers vous. L’idée est de s’auto-juger avec bienveillance, d’arrêter de penser que ses actions sont forcément sujettes à controverse ou mal vues par autrui. Si on se juge soi-même un peu mieux, on sera moins enclin à se juger durement au travers du regard des autres. Pour redorer sa confiance, on peut notamment jouer le journaliste, en demandant à des proches (famille, amis, voire collègues) ce qu’ils pensent de nous, comment ils nous trouvent, quelles sont nos qualités et nos défauts... L’idée est de prendre les réponses telles quelles, sans les juger, sans les interpréter avec des réflexions du type « si ma mère me dit charismatique, c’est parce que c’est ma mère, qu’elle veut me faire plaisir, etc. ».
- Faut-il se confronter au regard des autres pour pouvoir s’en détacher ?
ER : L’émotion la plus difficile à dépasser pour les phobiques sociaux est la honte. Et pour cause, elle « se voit » au travers de sensations corporelles (rougeur, transpiration...). Or, le blemmophobe ne supporte pas que les autres remarquent son malaise, donc il se sent encore plus mal à l’aise ! Pour sortir de cet autre cercle vicieux, une solution est de se confronter à sa honte, avec ce qu’on appelle des expositions directes. Certains thérapeutes invitent par exemple leurs patients à promener en laisse une... banane en pleine rue. Pourquoi pas ! De mon côté, je propose des expositions graduées, qui consistent à s’imaginer dans la situation stressante grâce à des techniques de pleine conscience, puis à observer les effets sur le corps. L’idée est que le patient projette ensuite sur le thérapeute sa colère, sa honte, toutes ses émotions qu’ils n’arrivent pas à exprimer avec autrui, afin qu’à terme, il puisse parvenir à les exprimer avec tout le monde. Même seul, vous pouvez vous « exposer » en pratiquant des activités artistiques comme la danse, le chant ou le théâtre qui, en libérant le corporel, vous feront sortir de votre inhibition émotionnelle.JP : Avec les « expositions in vivo », on invite la personne à s’exposer dans la vraie vie aux situations qui la stressent, comme le regard d’autrui, puis à évaluer ses résultats. Après une conférence que vous avez tenue devant vos collègues, par exemple, demandez-leur ce qu’ils en ont pensé. Est-ce encourageant ? Est-ce qu’ils me félicitent ou me conseillent pour la prochaine fois ? N'interprétez pas leurs réponses, prenez-les comme elles viennent ! Ce faisant, vous entrerez dans une dynamique de renforcement positif : parce que vous avez tiré bénéfice d’un certain type de comportement (parler devant une assemblée), vous aurez automatiquement tendance à le refaire plus facilement. L’objectif est de reformater votre cerveau : mettre de côté l’aspect émotionnel (pour oublier un peu son narcissisme et les interprétations) et se concentrer sur l’aspect purement cognitif (la pensée, la raison, l’évaluation).
- Justement, ne faudrait-il pas faire appel à notre raison pour prendre conscience que tout le monde est sensible au regard des autres, et que le jugement d’un inconnu n’a en réalité aucune importance à la fin de la journée ?
JP : Il est important de réaliser que les autres fonctionnent comme vous, en fait ! Imaginez que vous sortez dans la rue avec un bouton sur le nez : vous avez honte, vous n’allez pas oser parler aux inconnus, etc. Reconsidérez la situation, en visualisant que c’est votre interlocuteur qui a un bouton sur le nez : cela va-t-il vous amener à mal le juger ? Non, vous n’allez pas y accorder d’importance et vous l’aurez oublié dans la seconde. Impersonnaliser ainsi les autres permet de remettre les choses en perspective. De réaliser qu’on est beaucoup plus sévère avec soi-même qu’avec autrui, et que finalement, tout le monde s’en moque, de ce bouton ! Soyez dans le cognitif, pas dans l’émotionnel.ER : Le jugement est une réaction reptilienne naturelle : quand on ne connaît pas, on juge pour aller au plus vite. Mais le jugement est fugace, il repart aussi vite qu’il est arrivé, il ne dure pas (ou sinon, vous êtes en compagnie d’une personnalité malveillante ou toxique !). L’enjeu, c’est donc d’apprendre à ne pas le fuir, à l’accepter, pour laisser à l’autre le temps de nous connaître mieux. Il faut prendre conscience que le jugement de l’autre n’est qu’un regard, comme le vôtre sur lui. L’autre ne doit pas être un miroir de soi, simplement une personne avec laquelle je veux avoir une communication constructive, tisser des liens, bâtir une relation sans calculs. Et si ce n'est pas possible car vous n’avez pas d’atomes crochus, il faut accepter que ce n’est pas grave ! On ne peut pas plaire à tout le monde.