- Mieux Vivre Santé : Pourquoi est-ce si difficile de s’orienter quand on est jeune ?
Jessica Hollender : L’adolescence, qui démarre vers 12 ans, est une période de développement cognitif et cérébral intense, durant laquelle les fonctions exécutives d’organisation et de planification sont en cours d’acquisition. Le cerveau humain n’atteint sa maturité qu’autour de 25 ans ! Difficile, donc, de demander à un ado d’être organisé ou de planifier, que ce soit à court terme (ses devoirs, par exemple) ou à plus long terme (son futur métier). Sans compter que la pression de choisir la « bonne » orientation peut peser lourd dans la balance.- Quand et comment aborder le sujet avec son ado ?
JH : Se projeter sur toute une vie est souvent source de stress, donc il faudrait déjà remplacer la question « Que veux-tu faire plus tard ? » par « Qu’aimes-tu faire maintenant ? ». Celle-ci peut être évoquée dès les premiers besoins d'orientation, au collège, en l’aidant notamment à identifier les matières qu’il préfère et comment il aime apprendre. Ce qui peut l’aider, déjà, à choisir entre les filières générales ou professionnelles. Il est essentiel d’aborder le sujet petit à petit, dans une démarche de plaisir plutôt que d'obligation.Caroll Le Fur : Il est judicieux de commencer par lui parler de vous, en tant que parent qui travaille. Beaucoup d’ados n’ont aucune idée de ce que font concrètement leurs parents, ou alors ils n’en ont entendu que les mauvais côtés, les critiques. Il faut donc prendre le temps de lui expliquer ce que vous faites toute la journée, votre rôle et vos missions dans l’entreprise, les gens que vous rencontrez... L’idée est de contextualiser votre propre voie pour l’intéresser au sujet de l’orientation.
- Les ados ont souvent autre chose en tête que l’école ou leur avenir professionnel... Comment faire naître chez eux l’envie de « trouver leur voie » ?
JH : « Trouver sa voie » est une expression lourde de sens... Comme si une seule voie était possible ! Comme si on ne pouvait pas changer d’avis ! Il est important que l’ado ait envie de faire un pas devant l’autre, même petit, plutôt qu’un grand bon dans le vide. Pour cela, il faut partir de ce qu’il aime faire et potentiellement des métiers qui pourraient y correspondre. Les parents peuvent ainsi l’inviter à discuter avec des amis, des oncles, des cousines qui font tel ou tel métier, ou lui proposer de l’emmener dans des salons de métiers. Solliciter l’aide d’un tiers peut aider à prendre du recul, à gagner en sérénité et en bien-être pour toute la famille.CLF : Il s’agit d’être à l’écoute de ses talents et de ses intérêts, toujours sous un angle positif et non pas contraint. Il adore dessiner ? Demandez-lui s’il connaît les métiers du graphisme, s’il a envie d’en savoir plus... Il aime cuisiner ? Proposez-lui d’aller faire une initiation à un cours de cuisine avec lui ! Cela ne sert à rien de parler « métiers » : souvent, il ne les connaît pas (ou alors de façon fantasmée, à travers la fiction), et puis à quoi bon, alors que 45 % des métiers sont amenés à disparaître dans les 10 ans à venir ? Faites-le parler de ce qui l’intéresse. Il aura ensuite l’envie d’en savoir plus, et donc de se confronter, de faire le premier pas. A partir du moment où l’ado s’interroge sur son avenir, il trouve des pistes.
- En tant que parent, comment donner son avis sans risquer d’imposer ses idéaux, ses peurs, ses regrets ? Comment aider sans trop influencer ?
JH : En prenant soin de soi en tant que parent ! Ce qui implique de se demander ce qui nous traverse et pourquoi, de prendre conscience de nos propres schémas culturels et héritages familiaux, et ainsi de déterminer nos besoins vis-à-vis de notre enfant. Être parent d’ado, c’est jouer un jeu d’équilibriste entre la présence et la juste distance. Les ados ont besoin d’un cadre, certes, mais d’un cadre souple et co-construit, c’est-à-dire qui soit défini ensemble (même si les parents en restent les garants). L’idée est donc d’ouvrir des espaces de discussion pendant des moments de détente (repas, week-ends, vacances...), de s’intéresser à eux sans projection, comme s’il s’agissait de l’ado de votre meilleure amie.CLF : Les parents ne doivent pas se positionner, tout simplement ! C’est difficile d’être neutre vis-à-vis les choix de son enfant, et souvent, d’ailleurs, cela se traduit par un mimétisme familial : un ado qui a une mère avocate a sept fois plus de chances de faire des études de droit. Pourquoi pas ? Mais pour lui laisser le plus de liberté possible, il faut mettre de côté son affect et ses propres ambitions, qui sont rarement celles de son enfant. Le pire serait d’angoisser à sa place, et de lui transmettre votre anxiété. Faites-lui confiance, peu importe s’il se trompe de voie et prend un virage à 180 °C.
- Cela signifie-t-il pour autant que les parents doivent exclure les questions plus triviales, comme les débouchés professionnels ou la rémunération ? Faut-il ou non évoquer le fameux « principe de réalité » ?
JH : La réalité objective est aussi importante que les idéaux et les rêves. Les parents sont justement là pour transmettre leur expérience, et notamment leur apprentissage de ce principe de réalité. Mais ils doivent faire la part des choses : informer du réel ne veut pas dire transmettre ses angoisses ! Il faut donc autoriser son ado à rêver, et même nourrir ses rêves, avant de l’aider à redescendre en douceur, à inscrire son rêve dans la réalité. C’est là qu’il a besoin d’adultes (dotés de plus de maturité, d’expérience et de recul) bienveillants (avec le moins de projections possibles).CLF : Oui, dans une certaine mesure. Dire à son enfant d’être ingénieur « parce qu’il y a du boulot » n’est pas une solution : s’il est mauvais, il ne sera pas embauché ! Mais à un moment donné de la réflexion, il est nécessaire de faire coller un dossier scolaire à la réalité des faits. C’est d’ailleurs souvent corrélé : un ado qui met de côté les maths et la physique depuis le collège a peu de chances de vouloir devenir scientifique. C’est le rôle des parents de se renseigner pour trouver la meilleure alternative. Il ne s’agit pas de briser ses rêves, mais qu’il se rende compte de lui-même que ce rêve-là n’est pas forcément le plus adapté. Un enfant qui s’imagine en astronaute comme Thomas Pesquet n’a besoin de personne pour réaliser que cela va être compliqué s’il n'aime pas les sciences...