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Entretien

Un champion de la mémoire vous explique comment tout retenir (ou presque)

Par Stanislas Deve

Quelles sont les techniques qui permettent de retenir une grande quantité d'informations ? Quels exercices effectuer au quotidien pour booster sa mémoire ? Comment tout simplement ne pas oublier un chemin ou une série de prénoms en soirée ? Champion de France de mémorisation 2020 et formateur auprès d’étudiants et de seniors, Florian Manicardi nous prodigue quelques conseils pour développer les capacités de sa mémoire, à retrouver sur son site Memorall et sur sa chaîne YouTube éponyme.

AntonioGuillem / iStock

- Mieux Vivre Santé : Comment notre mémoire fonctionne-t-elle ?

Florian Manicardi : On distingue trois phases dans le processus de mémorisation : l’encodage (l’information est reçue et traitée par le cerveau : est-elle tactile, visuelle, gustative...), le stockage (l’information encodée est « rangée » pour durer dans le temps) et, enfin, le rappel (l’information stockée est récupérée pour être mémorisée à long terme), qui va venir consolider la mémorisation. Plusieurs types de mémoire peuvent concourir : la mémoire spatiale, perceptive (les cinq sens), épisodique (les souvenirs), sémantique (la connaissance pure), procédurale (les automatismes comme savoir marcher, écrire, conduire...), la mémoire à court et à long terme, la mémoire musculaire... Chacune affectant une ou plusieurs zones du cerveau simultanément. L’intérêt est de s’entraîner à combiner plusieurs d’entre elles, car plus on va mobiliser de mémoires distinctes, plus on va consolider l’information à retenir.

- Quelle est la technique de base pour bien mémoriser ?

C’est l’imagerie mentale, qui désigne le fait de penser en termes d’images. Par exemple, pour mémoriser le mot « amphigouri » [figure de style qui consiste à écrire un discours ou un texte volontairement obscur ou inintelligible, ndlr], je vais imaginer un amphithéâtre au milieu duquel un professeur parle de manière incohérente, pas claire : je pourrai ainsi me souvenir du mot, mais aussi de sa définition ! C’est en pensant automatiquement en termes d’images qu’on peut alors développer d’autres techniques de mémorisation.

- Une des méthodes les plus connues est celle du « palais mental », utilisée notamment par Sherlock Holmes. En quoi consiste-t-elle ?

On l’appelle également la technique des lieux. Prenons une liste de courses à retenir : carottes, tomates, crème fraîche, papier toilette, bananes et stylos. L’idée est de placer mentalement chaque produit dans un lieu que vous connaissez bien, comme votre appartement : des carottes disposées partout dans votre salon, des tomates écrasées dans les toilettes, un pot de crème fraîche dans la cuisine, du papier toilette partout dans la chambre des enfants, une banane pelée sur votre oreiller, et des centaines de stylos dans le lavabo de la salle de bain. En associant chaque produit à un endroit connu, vous les retiendrez mieux. Et l’image va d’autant plus marquer votre esprit si elle sort de l’ordinaire par son côté incongru, bizarre. Plus c’est original, plus ce sera facile à mémoriser.


- Quels sont les autres outils permettant de retenir un maximum d’informations ?

Les moyens mnémotechniques, qui vont aider la mémoire sémantique. Certains sont très connus, comme « Mais où est donc Ornicar » qui permet de retenir les conjonctions de coordination, ou « Monsieur Vous Tirez Mal, Je Suis Un Novice » pour se souvenir de l’ordre croissant des planètes du système solaire (Mercure, Vénus, Terre, Mars...). L’enjeu est de créer ses propres moyens mnémotechniques, personnalisés, en faisant des jeux de mots ou en créant une phrase avec les premières lettres des mots à retenir. Cela peut notamment s’avérer utile pour mémoriser des acronymes. C’est plus facile si c’est vous-même qui créez le moyen mnémotechnique. Enfant, pour distinguer le chameau du dromadaire, je me souviens m’être dit que le mot chameau contenait deux syllabes : c’est donc le chameau qui a deux bosses, et le dromadaire, une seule ! La mémoire est aussi une affaire d’imagination.

La technique des liens consiste à associer des éléments pour créer une histoire. Si par exemple je veux me souvenir d’une suite de mots (chien, voisin, fusil et alien), je vais imaginer un scénario en utilisant chacun des termes : « J’étais en train de promener mon chien quand mon voisin a braqué son fusil sur lui en hurlant que c’était un alien ! ». L’idée est d’associer des termes qui n’ont aucun lien entre eux pour tenter d’en créer un. Autre exemple, si je dois mémoriser les quatre composants de l’ADN (guanine, thymine, cytosine et adénine), je vais transformer ces mots en d’autres termes, plus « imagés » : la guanine fait penser à guano [un engrais organique, ndlr], la thymine à Tim [un personnage du film Jurassic Park, ndlr], la cytosine à « tôt » et donc au petit déjeuner, l’adénine à un dé. Ce qui va donner cette histoire : Timmy qui mange du guano au petit déjeuner tout en jouant aux dés. Grâce à cette phrase absurde, je devrais pouvoir retenir les quatre éléments.

La carte mentale est une technique de prise de notes visuelle. Au centre d’une feuille, on écrit le sujet phare, dont on va faire partir des branches (comme un soleil) qui correspondent chacune à un des axes du sujet. L’idée est de représenter l’information de la manière la plus visuelle possible, avec différentes couleurs, tailles de police, voire des dessins... C’est un peu le principe d’une fiche de révision, mais avec beaucoup plus d’éléments imagés.

La table de rappel est la technique de mémorisation la plus lourde, qui consiste à transformer les chiffres en lettres. Par exemple, si on suit le système universel, le chiffre 1 représentera un t ou un d, et le 3, un m. Le nombre 13, devenu t-m, peut ainsi être associé, en ajoutant une voyelle, aux mots « tom » ou « tam ». Au lieu de penser au chiffre tel quel, abstrait et donc difficile à mémoriser, c’est une image qui nous vient à l’esprit (un tam-tam par exemple), ce qui permet de la distinguer et de la retenir à long terme. On peut commencer par une table de rappel de 0 à 9, qui permet d’encoder déjà une suite de chiffres, mais l’idéal est de se créer une table de 0 à 99. Et ce, toujours avec des images, des associations d’idées que vous avez personnellement créées, donc instinctives, en fonction de vos propres références et expériences. Vous pouvez même créer une table de rappel alphabétique (le A représente un As, le F le feu, etc.), très utile pour retenir les acronymes.

- Et au quotidien ? Par exemple, comment ne pas oublier un trajet ou les prénoms des invités à une soirée ?

Se concentrer, avec l’objectif de retenir la chose, c’est le premier pas de la mémorisation ! Si je veux retenir mon chemin dans une ville inconnue, je vais tâcher de mobiliser mon attention pour repérer certains détails (une montée, une statue, un panneau...). C’est la même logique partout ! En arrivant dans une soirée, il faut d’abord se mettre en condition mentale pour retenir les prénoms. Puis, repérer un détail marquant chez la personne (ses cheveux, sa taille, sa façon de parler, ses habits, sa poignée de main...) et, en même temps, se répéter son prénom. Vous allez ainsi associer le détail au prénom, et vous en rappelez naturellement. Car la mémoire fonctionne par « indice de récupération » : la première syllabe du nom d’un acteur peut nous rappeler son nom en entier, par exemple. Pour activer le souvenir, le moindre détail peut suffire !