- Mieux Vivre Santé : Le 8 mars dernier, l’Arcom (anciennement le CSA) a demandé à la justice de bloquer cinq des plus gros sites pornographiques émettant en France. Ce blocaque peut-il réellement permettre de réguler la consommation de pornographie chez les jeunes ?
Stéphane Clerget : Bloquer l’accès aux sites pornographiques en raison de leur inaction face à la demande, exprimée par le CSA, de contrôler l’âge des internautes, est un pas dans la bonne direction. Certes, les adolescents déjà un peu addicts trouveront toujours le moyen d’y accéder, mais cela devrait globalement permettre de réduire la consommation de pornograhie chez les enfants.
Et pour cause, les plus jeunes -autour de 11 à 12 ans- tombent généralement sur les sites pornos par inadvertance lorsqu’ils regardent un film en streaming et qu’une fenêtre pop-up s’affiche, par exemple. Le blocage permettra donc d’en réduire considérablement l’accès. Par contre, il ne faut pas que cette mesure vienne empêcher un vrai travail de contrôle et de prévention de la part des parents.
- En moyenne, les jeunes garçons seraient exposés à leur premier film pornographique à l’âge de 11 ans. Cet âge moyen est-il en recul constant au fil des années ?
Ce qui se passe depuis dix ans est sans précédent. La première explication à ce phénomène est internet. Effectivement, il y a vingt ans, internet n’existait pas et l’usage des cassettes vidéos était plus limité et plus compliqué (il fallait être chez soi, disposer d’un magnétophone…). Or, depuis vingt ans et encore plus durant ces dix dernières années, internet s’est généralisé et les sites porno se sont multipliés.
La deuxième explication réside dans le fait que les jeunes possèdent désormais un smartphone dès l’âge de onze ans. Ceci implique qu’à 14 ans, près de 100% des garçons ont déjà vu un porno. C’est sans précédent et cela va avoir des conséquences terribles sur la sexualité de ces futurs adultes. D’ailleurs, à cause de la pornographie, on observe déjà des problèmes de santé sexuelle et psychique chez les jeunes adultes. C’est pour cette raison que la facilité d’accès du porno chez les jeunes et les très jeunes est un problème de santé publique et pas seulement un problème de morale.
- Lorsque l’on parle du problème de l’accès à la pornographie chez les adolescents, on parle généralement des garçons. Observe-t-on le même phénomène chez les jeunes filles ?
Les filles sont également concernées par le phénomène, mais celui-ci touche tout de même plus largement les garçons.
Maintenant, oui, il y a bien un effet de curiosité chez les filles, pour autant le pourcentage de jeunes adolescentes ayant regardé un porno ne dépasse pas les 10%. Et pour cause, lorsque les filles regardent de la pornographie, elles sont déjà sexuellement actives. A contrario, les garçons ne le sont pas et c’est ceci qui peut occasionner un blocage.
Par ailleurs, on s'inquiète beaucoup pour les filles, on en parle beaucoup alors qu’à mon avis, les garçons, à l’adolescence, sont plus en danger. En effet, ils ont des conduites à risque, 90% des délinquants sont des garçons, c’est eux qui vont en prison, c’est eux qui sont plus touchés par le suicide, c’est eux qui sont majoritarement en échec scolaire et enfin, c’est eux que l’on retrouve sur les sites pornographiques. En somme, il serait bon qu’on les protège un peu plus.
- Si les garçons sont les plus touchés, quelle sont pour eux les conséquences d’une exposition précoce à la pornographie à court et à plus long terme ?
Je dirai que cette exposition précoce à la pornographie à cinq conséquences principales.
En premier lieu, je vois de plus en plus de jeunes adultes qui, ayant consommé du porno à l’âge de 11/12 ans, ne sont plus excités sexuellement parlant et sont donc impuissants. En outre, leurs premiers émois s’étant cristallisés sur une image et un plaisir procuré en solitaire -la masturbation- et non pas par un corps à corps, lorsqu’ils rencontrent quelqu’un, ils ont tendance à angoisser, à être déstabiliser et finalement ne parviennent pas à avoir un rapport sexuel.
En deuxième lieu, trop de pornographie cause une mésestime de soi. Les garçons regardent de la pornographie et se mettent à complexer sur la taille de leur sexe. D’ailleurs, il n’y a jamais eu autant de demandes de pénoplasties -l’augmentation de la taille ou du diamètre du pénis- et ce, même chez les moins de 18 ans.
En troisième lieu, et ça rejoint la question de l’impuissance, la pornographie donnent l’impression aux adolescents que les femmes sont insatiables. Ainsi, ils se disent qu’ils ne pourront jamais les satisfaire, qu’ils ne seront jamais à la hauteur dans la réalité et cela les inhibent complètement. In fine, encore une fois, ils n’osent plus avoir de rapports sexuels.
En quatrième lieu, cet accès à la pornographie dès le plus jeune âge donne lieu à des dérapages. Les rapports se font sans préliminaire, ce qui occasionne l’insatisfaction chez les femmes et peut favoriser une plus grande impulsivité sexuelle, un non-respect du consentement…
En cinquième et dernier lieu, cette source de plaisir et d'apaisement facile peut devenir une addiction puisque certains jeunes utilisent la pornographie comme une thérapie. Cela d’ailleurs, vaut pour les garçons mais aussi pour les filles.
- Face à ce que vous définissez comme un problème de santé publique, que peuvent faire les parents ?
Avant tout, il est important de préciser que contrairement à ce que l’on peut penser, la majorité des gens ne sont pas au courant des conséquences dramatiques de cette exposition précoce. Or, si les parents savaient, par exemple, que la pornographie n’est pas seulement discutable sur le plan moral mais peut porter préjudice à la sexualité de leur enfant plus tard, lorsqu’ils ont atteint l’âge adulte, ils seraient très probablement moins tolérants.
De plus, sans réellement comprendre le problème actuel, certains parents et notamment les pères, gardent un regard quelque peu bienveillant sur la pornographie en se disant , par exemple, “moi aussi j’en regarde, moi aussi j’en regardais sur des cassettes quand j’étais jeune et je n’en suis pas mort”. En d’autres termes, ils estiment quelque part que ça n’est pas dramatique et que ça initiera l’adolescent à la sexualité. Pourtant, il ne fait aucun doute que si on leur parlait du risque d’addiction et du risque d’impuissance, ils verraient probablement les choses différemment !
Pour lutter contre ce problème, il faut donc avant tout en parler, c’est essentiel. Il ne s’agit pas d’aborder la question de la pornographie entre le fromage et le dessert, mais d’en discuter à plusieurs reprises pour que l’adolescent en comprenne le danger et comprenne que trop de films porno occasionne à plus long terme des problèmes de sexualité.
Ensuite, il paraît évident qu’il faut éviter de donner un smartphone à son enfant de 11 ans. Si l’enfant est plus âgé ou qu’il en a déjà un, il faut bloquer les sites pornographiques via un système de contrôle parental et même, pourquoi pas, surveiller ce qu’il consulte.
Puis, il ne faut pas hésiter à parler de sexualité avec ses enfants, on est même obligé d’en parler. Puisque l’adolescent et même l’enfant ont accès à une sexualité adulte, le meilleur moyen de prévenir c’est d’aborder le sujet avec lui, de lui donner les règles et de lui expliquer qu’un adulte peut regarder des films pornos, mais qu’un adolescent doit vivre sa sexualité avant d’en regarder.
- Enfin, à partir de quand les parents doivent-ils s’inquiéter ?
Si l’on constate que notre enfant regarde trop de pornographie, il faut l’amener chez un pédopsychiatre sans attendre. D’ailleurs, les pédopsychiatres soignent de plus en plus, depuis cinq ans environ, l’addiction à la pornographie.
Dans tous les cas, il ne faut surtout pas rester sans rien faire. C’est une addiction qui doit être prise très au sérieux sous peine d’avoir un futur adulte sans vie sexuelle ou avec une sexualité impulsive et qui commettait des dérapages graves.