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Fratries : "Ma personnalité aurait été complètement différente si je n'avais pas été la fille du 'milieu'"

Par Floriane Valdayron

Si nombre de facteurs contribuent à forger la personnalité de chacun, la famille joue un rôle considérable, en particulier les frères et sœurs. Leur nombre, leur tempérament, leur écart d'âge, leur ordre d'arrivée… Dans le premier volet de notre saga "On vous dit tout sur les fratries", une aînée, une cadette et une benjamine nous racontent comment leurs sœurs respectives ont contribuer à dessiner leurs traits de caractère et pourquoi elles estiment avoir la meilleure place.

ucpage/iStock

Les aînés seraient plus mûrs, les cadets plus turbulents… Voici le genre de stéréotypes que l'on peut entendre sur les fratries. "C'est loin d'être systématique ou vérifié", assure Marie Danet, psychologue clinicienne. Selon la docteure en psychologie, il serait même difficile de distinguer des "grands schémas" dans le façonnement du comportement ou des traits de caractère d'un enfant selon son positionnement. En cause : l'entrée en compte de nombreux facteurs. "Le style éducatif des parents joue, ainsi que le tempérament de l'enfant à la naissance, celui des autres membres de la fratrie, la taille de cette dernière et l'espacement entre les frères et sœurs", énumère l'experte. 

Par exemple, si l'aîné est plus effacé, peut-être que le cadet prendra davantage de place. De la même manière, un très grand écart d'âge peut avoir un impact. "Ça ne veut pas dire que les enfants ne s'entendront pas et ne passeront pas du temps ensemble, mais il est vrai qu'ils auront peut-être plus de traits de caractère de fils ou fille unique, illustre la psychologue, en précisant qu'il ne s'agit pas d'un problème pour autant. Ça leur permet également de recevoir davantage d'attention". Quoiqu'il en soit, il n'existe pas de règles : à l'inverse, un faible espacement peut aussi bien être synonyme d'une rivalité fraternelle que d'une forte complicité. C'est le cas de Manon. Âgée de trois années de moins que sa sœur, elle qualifie cette dernière de personne très importante dans sa vie. "On est assez équilibrées : on est très proches, mais pas non plus fusionnelles", confie la jeune femme de 29 ans.

"Je fais toujours un peu le lien, comme avec mes sœurs" 

Lorsqu'on lui demande si elle pense que sa personnalité aurait été la même si elle avait été fille unique, elle répond par la négative. Elle décrit son aînée comme étant dans le contrôle d'elle-même, en s'imposant de ne pas parler trop fort, de ne pas marcher de telle manière, ou de ne pas dire telle chose… En somme, elle dépeint quelqu'un qui accorde beaucoup d'attention au regard des autres. "Comme je suis sa petite sœur, elle m'inculque cette conduite depuis toujours, explique Manon. Donc, parfois, je peux adopter ce genre d'attitudes, ou être un petit peu plus introvertie que je ne le suis réellement. Je pense vraiment que cela vient de ma relation avec ma sœur parce que mes parents n'ont jamais eu ou encouragé ce type de comportements"

Même son de cloche chez Anaïs, 20 ans. Cadette, avec une sœur de six ans son aînée et une autre de trois ans sa benjamine, elle trouve que ces dernières ont fortement influencé sa personnalité. "Elle aurait été complètement différente si je n'avais pas été la fille du 'milieu'. Je suis conciliante et je m'adapte beaucoup plus facilement aux autres car je suis habituée à composer, estime-t-elle. Par exemple, je peux me comporter d'une manière plus ou moins mature selon la personne en face de moi, comme j'ai appris à le faire avec une grande d'un côté et une petite de l'autre". Cette faculté d'adaptation lui permet d'apaiser les tensions, de jouer le rôle de médiatrice. "Je fais toujours un peu le lien, comme avec mes sœurs", constate l'étudiante. 

Pour Capucine, 30 ans, il est également "évident" que ses sœurs, des jumelles âgées de cinq ans et demi de moins qu'elle, ont contribué à dessiner sa personnalité. "Je pense qu'avoir deux petites sœurs qui demandaient beaucoup d'attention m'a permis de ne pas être égoïste, d'être attentive aux autres, et de beaucoup prendre sur moi, analyse-t-elle. C'étaient deux petites filles qui prenaient de la place et faisaient beaucoup de bêtises, donc il fallait que je sois plutôt disciplinée". Autre facteur à prendre en compte : leur gémellité. "Comme elles étaient souvent toutes les deux, j'ai aussi dû me construire seule : j'avais une fratrie, mais je n'étais pas toujours intégrée dedans, poursuit la trentenaire. Ça a fait de moi quelqu'un d'assez indépendant"

"Je me sens grande sœur" 

Le cas de Capucine illustre bien le fait que son positionnement dans sa fratrie peut devenir un pan intégral de sa personnalité, une forme d'identité. "Je me sens grande sœur, confie-t-elle. Ça a été le cas dès le début, avant même que mes sœurs soient nées : j'étais suffisamment âgée pour comprendre ce qui allait se passer, puis on m'y avait beaucoup préparée. Mes petites sœurs étaient déjà identifiées comme telles. Quand elles sont arrivées, on m'a donné ce rôle de grande sœur, et je m'en suis emparée presque instinctivement. Pour moi, prendre les rênes de la fratrie était naturel". Tout de suite, Capucine a commencé à s'en occuper, à changer leurs couches, à les surveiller, à leur faire des câlins, à leur lire des histoires.

Puis, en grandissant, elle les entraînait dans les jeux, les guidait, avait systématiquement l'initiative. "Par exemple, on faisait beaucoup de mises en scène, et c'était moi qui imposais les rôles, les déguisements, le scénario… Il y avait vraiment ce côté 'grande'", développe-t-elle, en précisant qu'elle aidait également beaucoup ses sœurs à faire leurs devoirs. Elle était tant dans le "lead" qu'enfant déjà, Capucine se demandait si elle n'avait presque pas un rôle de mère. "En tout cas, mes sœurs se sont véritablement donné celui de 'petites'. C'était tout ou rien : soit elles m'érigeaient en modèle, à vouloir tout faire comme moi, à me dire qu'elles m'enviaient… Soit elles se liguaient contre la 'méchante grande sœur', se remémore la trentenaire. Finalement, ça c'est bien imbriqué : on était chacune dans nos rôles".

"Maintenant, c'est peut-être davantage une identité" 

Néanmoins, elle observe que ces derniers ont été amenés à s'estomper, ne serait-ce qu'avec l'âge et la distance – elles vivent à plusieurs heures de transport les unes des autres. "Maintenant, c'est peut-être davantage une identité, poursuit Capucine. Elles seront toujours mes petites sœurs, et je serai toujours leur grande sœur, mais on est bien moins dans la caricature". Chez Anaïs, les rôles ont toujours été comme "brouillés". Par exemple, enfant, elle avait réellement celui de cadette : sa grande sœur la "trimballait" partout, tenait un carnet avec ses avancées quotidiennes, passait des heures à jouer à la maîtresse avec elle… 

"Mais, lorsqu'elle était adolescente, il m'arrivait de 'faire' l'aînée pour la couvrir quand elle bravait les interdictions de nos parents, indique l'étudiante. Même si j'ai plutôt tendance à me voir comme la fille du milieu, c'est vrai que j'ai souvent pris le lead". Désormais, elle ne sent presque plus la différence d'âge, car elles partagent des centres d'intérêt communs et ont des caractères assez similaires. "Je me sens plus fréquemment grande sœur. Déjà, par rapport à ma petite sœur, parce que je gère beaucoup de choses pour elle et que c'est vraiment le rôle qu'elle m'a donné. Puis, la grande est sujette aux angoisses : j'ai l'impression de devenir l'aînée dans ces moments-là, raconte la jeune fille de 20 ans. À l'inverse, quand c'est moi qui panique pour une raison ou une autre et que j'ai besoin d'elle, je me sens beaucoup plus 'petite'".

"Je suis très contente d'être la fille du milieu"

De la même manière qu'il est impossible de déduire une personnalité d'un positionnement dans une fratrie, il n'existe pas de "meilleure" place. "Je pense qu'il y a un avantage et un inconvénient dans tous les cas", estime Marie Danet, en prenant l'exemple de parents plus stressés avec l'aîné, mais aussi plus disponibles pour lui. Effectivement, Manon se dit "contente" d'être la seconde. "C'est un petit peu cliché, mais, parfois, ça m'enlève certaines responsabilités : ma sœur est plus en charge de nos problèmes, confie-t-elle, en précisant qu'elle le constate davantage depuis la perte de sa mère. Sur les questions administratives auxquelles on est toutes les deux confrontées, notamment, j'attends qu'elle réfléchisse et j'applique"

"En contrepartie", la vingtenaire a l'impression d'avoir eu parfois moins de crédibilité que sa sœur. "Quand on était plus petites, si on avait une discussion sur un sujet de société ou une affaire à régler en famille, peut-être que son point de vue avait plus de poids que le mien", se remémore-t-elle. Anaïs voit également les bons et mauvais côtés de sa place. "En fin de compte, je suis très contente d'être la fille du milieu, lance-t-elle dans un sourire. Même si j'ai eu moins d'attention que ma grande sœur, et que ça peut se traduire par un léger manque de confiance en moi aujourd'hui, mes parents m'ont laissé faire plus de choses qu'elle".

Même son de cloche chez Capucine. "Je suis assez contente d'être l'aînée, et c'était déjà le cas lorsque j'étais enfant parce qu'on me laissait assez tranquille, puisque l'attention était surtout reportée sur les deux 'autres', raconte-t-elle, en précisant qu'elle ressentait malgré tout une forte "pression", quant aux résultats scolaires notamment. Puis, je préférais déjà être celle qui prenait le 'lead' plutôt que celle qui se faisait diriger". Petite, néanmoins, elle aurait aimé tester plusieurs sortes de configuration, et, surtout, avoir des grands frères. "Je disais à tout le monde que c'est ce que j'aurais voulu, se souvient-elle dans un rire. Mais, au final, c'est la place qui m'a été donnée. Je me dis que c'est pour une bonne raison, et j'essaie quand même d'honorer mon rôle d'aînée. Je suis loin d'être un modèle, mais j'ai envie de faire en sorte que mes petites sœurs soient contentes d'avoir une grande sœur".