Objet de nombreux travaux scientifiques, le microbiote est un ensemble de bactéries, virus, parasites et champignons non pathogènes. En somme, il s'agit de la flore intestinale, située dans le tube digestif, au niveau du colon et de l'intestin grêle. Formé le jour de la naissance, le microbiote est propre à chacun : il détermine génétiquement un individu, le marque, comme une sorte d'ADN. Son rôle est de mieux en mieux appréhendé. Par exemple, il a été montré qu'une flore intestinale altérée peut être à l'origine de maladies auto-immunes et inflammatoires. En cause : la "bataille de territoire" qui s'opère entre les bactéries dès lors qu'un déséquilibre s'installe.
Intéressons-nous à une étude menée il y a deux ans par des chercheurs canadiens sur 21 femmes. Reprise dans de nombreux articles mettant en évidence l'impact d'une exposition régulière à la lumière sur la diversité et la richesse du microbiote, elle a été suivie par des travaux conduits aux États-Unis en 2020. Ceux-ci, réalisés à partir des échantillons de selles et de sang de 567 hommes dont l'âge médian était de 84 ans, se penchent sur le lien entre vitamine D – donc, indirectement, l'exposition solaire – et qualité du microbiote. Nous avons demandé à Faïza Bossy, médecin généraliste, de démêler le vrai du faux.
- Que pensez-vous des études qui établissent un lien entre l'exposition solaire et la qualité du microbiote ?
Faïza Bossy : Avant tout, je tiens à préciser que les résultats des travaux réalisés en laboratoire ne sont pas toujours transposables dans la réalité, et que, d'autre part, un échantillon de 21 personnes est statistiquement trop faible. Ainsi, à ce jour, il apparaît difficile de conclure que le soleil a un impact positif sur le microbiote. Néanmoins, les constatations des chercheurs constituent une piste sanitaire intéressante : elles abordent une notion de lien avec l'immunité. Concrètement, il est montré que l'exposition à la lumière a un impact positif sur le microbiote des personnes carencées en vitamine D. C'est encore balbutiant, mais savoir que le soleil peut aider à se protéger contre les microbes est une nouvelle porteuse d'espoir.
- Comment expliquer le rôle de la lumière ?
Ses effets sur le corps sont multiples. D'abord, elle est un facteur clé de la synchronisation de l'horloge biologique, qui régule les cycles circadiens, notamment avec la sécrétion de la mélatonine – l'hormone dite du sommeil, ndlr. – vers 18 heures, et celle du cortisol – l'hormone "du stress", ndlr. – aux alentours de 6 heures. Elle influe sur les sécrétions hormonales, l'immunité, l'humeur, la mémoire, les muscles et le tube digestif. Ce qui est intéressant, c'est que les études citées montrent que l'exposition lumineuse régulière stimule la production de vitamine D, que l'on ne trouve pas en quantité suffisante dans l'alimentation.
- Qu'entend-on par la notion d'exposition "régulière" ?
Il s'agit d'un rythme quotidien, d'une quinzaine de minutes au moins. Le problème, c'est que dans les pays "nordiques" tel que le nôtre, le degré d'ensoleillement est faible d'octobre à mars. Résultat : 80% des adultes français sont en déficit de vitamine D. Il faut supplémenter la population, et pas uniquement les enfants, car la vitamine D a trois rôles essentiels : la constitution osseuse, la stimulation du système immunitaire, et la modification de l'action des protéines pro-inflammatoires. Comme l'inflammation et l'immunité sont très étroitement corrélées, un taux de vitamine D normal permet de maintenir l'équilibre du microbiote, voire peut-être – nous n'avons pas encore assez de recul – de stimuler ou de renforcer sa qualité.
- Quelles sont les conséquences d'un déficit de vitamine D ?
Une carence en vitamine D affaiblit l'immunité, ce qui influe le fonctionnement normal du microbiote. Cela donne lieu à une sensibilité accrue et participe à un déséquilibre de la flore intestinale. En conséquence, les parois intestinales deviennent plus poreuses, favorisant ainsi la pénétration de bactéries, virus, et champignons. Cela peut générer des infections et des maladies auto-immunes ou inflammatoires. En somme, dès que notre corps subit un déséquilibre, nous le "payons".
- Existe-t-il des moyens avérés de renforcer la qualité de son microbiote ?
Oui. Si notre microbiote est abîmé, on peut le rééquilibrer, l'enrichir, l'améliorer, le potentialiser, en passant par le biais de l'alimentation, et en privilégiant notamment les apports en fibres. D'autres substances permettent de le renforcer : les probiotiques et les prébiotiques. Ces premiers sont des micro-organismes vivants non pathogènes, des levures fermentées, qui sont bénéfiques pour la flore intestinale. On peut en trouver en pharmacie, mais aussi dans certains aliments comme la choucroute, la levure de bière, les légumes fermentés, les carottes, les betteraves, les radis, les poivrons... Les prébiotiques, eux, sont des substances alimentaires non digestibles, notamment présentes dans les fruits et les légumes. Elles contribuent à la croissance, l'activité des bactéries : elles les nourrissent. Un nouveau produit, créé chimiquement, regroupe les probiotiques et les prébiotiques : ce sont les symbiotiques.
Aussi, en 2014, la doctorante allemande Giulia Enders a publié le livre Le Charme discret de l'intestin : Tout sur un organe mal aimé, dans lequel elle fait allusion à la transplantation fécale. Il s'agit d'une innovation très en vogue depuis ces dix dernières années, qui consiste à administrer une suspension bactérienne – préparée à partir des selles d'un individu sain – à des personnes qui ont un microbiote altéré, tels que des patients en obésité morbide ou atteints de maladies auto-immunes sévères.
- Les études susmentionnées pourraient-elles donner lieu à une nouvelle piste thérapeutique ?
Il est encore un petit peu tôt pour se prononcer, mais, en termes de prévention, on peut déjà s'exposer au soleil en se disant que l'on stimule sa sécrétion de vitamine D pour permettre à son système immunitaire de se renforcer. C'est simple et loin d'être désagréable, surtout si l'on évite les horaires où le soleil est à son zénith. Puis, avant tout, nous, médecins, devons rester vigilants à ce que nos patients aient un taux de vitamine D normal. Enfin, ces études pourraient effectivement mener à pratiquer des séances de luminothérapie, ou à injecter de la vitamine D directement dans le microbiote. C'est une réflexion qui mérite d'être approfondie : le champ des possibles est ouvert.