La crise sanitaire a signé l'avènement du télétravail. Avec l'appel à systématiser le distanciel, nombre de Français ont fait un pas vers l'inconnu et ont eu tout un mode de vie à réapprendre. D'abord, il a fallu penser son installation, d'un point de vue purement matériel. "Une certaine fatigabilité arrive lorsque l'on est mal installé", assure Claire Leconte, chronobiologiste. Par exemple, si l'on utilise un ordinateur portable, il convient d'avoir recours à une souris et à un support. "Cela joue beaucoup sur le ras-le-bol", insiste-t-elle. Loïc, 27 ans, a senti la différence : après des semaines sans réel espace de travail, sa copine et lui ont aménagé la mezzanine de leur salon en décembre, en créant un bureau à partir de deux tréteaux et d'une planche en bois.
"On a même acheté un deuxième écran. Maintenant, on est super bien", constate le consultant, en télétravail à temps plein depuis la fin du mois d'octobre. Respecter ses rythmes passe également par l'alimentation, en évitant de grignoter dans la journée, et en se limitant au petit-déjeuner, au déjeuner, éventuellement au goûter, et au dîner. "Sur site, je ne déjeunais pas, ou à peine, témoigne Frédéric, expert IT, en évoquant un "petit" sandwich, ou un fruit, qui tenait davantage du grignotage que du repas. Ici, je suis plus tenté de me faire à manger, de me servir un petit verre de vin. Avec le télétravail, j'ai changé mes habitudes alimentaires, ce qui n'est peut-être pas plus mal, car elles sont plus équilibrées".
"Il n'y a pas vraiment de journées types, tant que l'on adopte des routines"
Surtout, comment organiser sa journée quand on n'a expérimenté que le bureau ? "Si tant est que l'employeur soit d'accord, le télétravail permet une certaine liberté", note Nolwenn Anier, docteure en psychologie sociale. Effectivement, dès lors que l'on ne dépend pas de plages horaires fixes, il est possible de s'adapter à ses rythmes naturels : les matinaux préfèreront commencer leur journée plus tôt et profiter de leur après-midi, tandis que les vespéraux se lèveront plus tard. "Pour autant, je ne dirais pas non plus que toutes les portes sont ouvertes, nuance l'autrice de Confinement : les enseignements à retenir. Le problème, si l'on n'impose pas un minimum de plages de présence collectives, c'est qu'on limite les échanges synchrones".
Ce risque concerne particulièrement les personnes qui travaillent en étroite collaboration avec leurs collègues. "La vie d'équipe peut s'en trouver affectée, dans le sens où l'organisation est susceptible de devenir très compliquée, si untel n'est pas là alors que quelqu'un a besoin de lui pour une urgence", reprend l'experte. Ainsi, elle recommande de discuter collectivement de créneaux fixes, comme imposer la présence de tous les salariés de 10 à 15 heures, avec une pause déjeuner. "En dehors de cela, ils pourraient rester assujettis à leurs 7 heures de travail par jour, mais chacun pourrait les répartir comme bon lui semble", développe Nolwenn Anier. Cela pourrait se traduire par des journées de 7 heures-15 heures ou de 10 heures-18 heures, entre autres.
Pour des professions assez "indépendantes", telles que traducteur, rédacteur, graphiste ou encore data scientist, il est envisageable d'être plus flexible. Par exemple, commencer sa journée à 7 heures, faire une pause à 10 heures, reprendre de 14 heures à 16 heures, puis de 18 heures à 20 heures. "Il n'y a pas vraiment de journées types ou de règles, tant que l'on adopte des routines", estime Claire Leconte, chronobiologiste. Pour elle, respecter ses rythmes passe notamment par le fait de se donner des obligations temporelles, telles que prendre sa douche, se préparer et petit déjeuner avant de travailler, comme si on se rendait sur site. "L'avantage, c'est que l'on peut prendre plus de temps pour le faire, on n'est pas obligé de courir, de se dépêcher", précise-t-elle.
Planifier ses journées en amont
Néanmoins, attention à ne pas se coucher plus tard pour terminer une tâche. "Il vaut mieux s'arrêter, et s'y atteler le plus tôt possible le lendemain, conseille la spécialiste. Il est préférable de préserver son rythme de sommeil pour être en bonne forme tous les jours". Par ailleurs, même si chaque journée peut être différente, elle préconise d'y réfléchir la veille. "En général, on sait quelles seront nos tâches, poursuit-elle. Plutôt que de les faire un petit peu à la sauvette, il faut essayer de les planifier". Objectif : distinguer le temps professionnel du personnel. C'est la difficulté qu'a relevée Frédéric. "Le matin, je passe vite du réveil au travail, et, le soir, du travail à l'apéritif, témoigne l'expert IT de 55 ans. J'ai l'impression de ne pas avoir de transition entre chaque moment et de les mélanger".
Autorisé à se rendre ponctuellement sur site au début de la crise sanitaire, il télétravaille à 100% depuis deux mois. Avec cette nouvelle organisation, il remarque une évolution de sa journée type. "Elle est à la fois très entrecoupée et monotone, alors qu'avant, chaque partie était vraiment distincte", décrit-il. Désormais, il se lève 15 minutes avant de se connecter à son ordinateur, au lieu d'une demi-heure. "Je me prépare rapidement, car je n'aime pas travailler en pyjama. Je prends une petite collation, puis on commence par une réunion, reprend Frédéric. Une heure après, je petit déjeune". Il n'a pas réellement de rythme fixe, régulier. Ses journées varient en fonction des réunions, des pauses de sa femme et de ses filles dans la cuisine, ainsi que de sa motivation.
"Je prends une pause entre midi et trois : je fais quelques achats, du vélo ou je cours, développe-t-il. Puis, je fais une autre pause entre 17 heures et 18h30 à cause du couvre-feu. Ensuite, je recommence un petit peu à travailler, pour compléter la journée". Des journées plus longues que lorsqu'il était en présentiel, soumis aux 9h30-18h30, avec une pause le midi. "C'est ce qui me gênait un petit peu au début, mais je m'habitue et m'adapte de manière à ce que ça ne me nuise pas personnellement, explique l'expert IT. Finalement, ça me profite, puisque je fais pas mal de choses pour moi". Si Claire Leconte préconise de penser sa journée la veille, c'est justement pour programmer ses pauses. "Comme ça, quand on fait quelque chose, on sait qu'une coupure arrivera à un moment donné, précise-t-elle. Ainsi, l'intérêt pour la fin de l'activité nous maintient motivé".
Des pauses régulières à déculpabiliser
Il peut s'agit d'une sieste, d'un moment de relaxation d'une vingtaine de minutes, ou encore d'une promenade d'une heure, pas forcément en continu. "Cela peut être deux fois une demi-heure ou quatre fois 15 minutes, détaille la chronobiologiste. L'important est de maintenir ce rythme, qui permet de se remobiliser. En revanche, dès que l'on s'aperçoit qu'on est obligé de se relire plusieurs fois, de fournir de gros efforts pour se reconcentrer, on a besoin d'une pause". Ele fait allusion aux pauses régulières, à distiller tout au long de sa journée. "En présentiel, on en a souvent", assure-t-elle. Elle évoque notamment le fait de se déplacer pour imprimer des documents, pour se rendre à la machine à café, pour fumer une cigarette avec ses collègues…
"Toutes ces pauses sont importantes, nécessaires, car elles permettent de se remobiliser dans de bonnes conditions, développe l'experte. Lorsque l'on est à la maison, on doit faire la même chose et éviter de travailler des heures en continu". Un conseil qui soulève une problématique observée chez plusieurs télétravailleurs : doit-on compter ces pauses dans les sept heures quotidiennes ? Par exemple, certaines personnes se chronomètrent : doivent-elles mettre le temps sur pause dès qu'elles quittent leur ordinateur pour se servir un verre d'eau ou qu'elles répondent à un message d'ordre personnel ? "Non, répond Claire Leconte, catégorique. Quand on est au bureau, personne ne décompte ces petites pauses de notre temps de travail, donc c'est exactement pareil".
"J'essaie de veiller à avoir fait mon temps de travail"
Selon la chronobiologiste, il est important de ne pas s'imposer de telles exigences. "Comme ces pauses permettent d'être plus actif par la suite, ce n'est pas du temps perdu", martèle-t-elle. Pour Frédéric, cela passe par s'interrompre pour étendre une lessive, faire la vaisselle, du rangement, ou discuter avec sa femme. "L'autre fois, on a eu une conférence avec les objectifs de l'année, raconte-t-il. Cela ne nécessitait pas d'être devant l'ordinateur, donc j'ai en ai profité pour faire un gâteau, tout en écoutant". Néanmoins, il s'est aperçu qu'il était "assez distrait", qu'il prenait plus de libertés depuis qu'il télétravaillait à temps plein. "Ce n'est pas évident de calculer. J'essaie d'être vigilent, de veiller à avoir fait mon temps de travail à la fin de la journée, donc j'essaie d'en faire un peu petit plus, mais c'est à vue de nez", confie-t-il.
Cette nouvelle organisation pose la question de la redéfinition des 35 heures. Plutôt que de s'astreindre mécaniquement à un rythme quotidien de 9h30-17h30, pourquoi ne pas profiter du télétravail pour gagner en flexibilité ? Cela pourrait se traduire, par exemple, par une journée de 5h30 suivie d'une de 8h30 le lendemain, en fonction de ses rendus et besoins personnels. "J'en suis absolument persuadée, assure Claire Leconte. On pourrait tendre vers une organisation non plus quotidienne, mais que l'on planifie par rapport à l'importance de ses tâches. Je suis convaincue que ce serait bien plus bénéfique que des horaires imposés".