Peurs, paroles blessantes, stress, pensées limitantes, deuil… nous avons tous des bagages. Pour certains, ces derniers sont si intégrés à leurs schémas comportementaux qu’ils finissent par les passer - parfois à leur corps défendant - à leurs enfants. La psychologue Johanna Rozenblum, auteure du livre Déconditionnez-vous (ed : Le courrier du livre), dévoile comment éviter une transmission transgénérationnelle des traumas, des craintes et des comportements toxiques.
Pourquoi Docteur : Pourquoi les traumas affectent-ils autant nos vies et nos relations, généralement sans que l’on ne s’en rende compte véritablement ?
Johanna Rozenblum : Les traumatismes sont des ruptures dans notre histoire. Il y a souvent un avant et un après, que l'on ne mesure pas vraiment les premiers temps. De plus, ces traumas peuvent causer un repli sur soi, une perte de confiance, des symptômes anxio-dépressifs, de l'hypervigilance. Tout ceci modifie notre lien à l'autre et nos comportements au quotidien.
"Il est difficile de se rendre compte que l'on reproduit un comportement enseigné par nos parents"
Il arrive fréquemment que les personnes ayant grandi avec des parents aux comportements négatifs ou toxiques, assurent : “je ne ferai pas comme eux”. Mais certains suivent finalement des schémas similaires avec leurs propres enfants. Comment expliquer ce phénomène ?
Il est difficile de se rendre compte que l'on reproduit un comportement enseigné par nos parents ou notre éducation en général, sans avoir travaillé dessus. Pour ne pas reproduire, il faut certes réaliser, conscientiser un pattern [Modèle spécifique représentant d'une façon schématique la structure d'un comportement individuel ou collectif, NDLR] ou un comportement dysfonctionnel. Mais il faut aussi travailler à le remplacer par un autre plus adapté. C'est un travail qui demande une réflexion profonde, sinon le comportement réflexe – celui pour lequel nous sommes conditionnés depuis l'enfance – refera inlassablement surface.
Quels sont les traumas que l’on répercute le plus souvent sur ses enfants ?
Les traumas que nous avons vécus et que nous n'avons pas traités, peuvent s'exprimer de différentes façons à nos enfants. Ils sont susceptibles de se transmettre et exister sous forme de colère, de tristesse ou dans la répétition d'un comportement d'auto sabotage par exemple.
Le manque de confiance en soi, la peur de l'avenir, le sentiment d'incapacité ou d'imposture passent également souvent d'une génération à l'autre. De nombreuses études, notamment après la Seconde Guerre mondiale, ont pu mettre en avant et confirmer la transmission des traumatismes de parent à enfant.
"Si le trauma reste en sourdine, il filtrera au travers de nos mots, nos peurs ou nos comportements"
Quels conseils donneriez-vous à un parent qui veut éviter que ses traumas ou pensées négatives affectent leurs enfants ?
Pour ne pas qu'un trauma se transmette et ne devienne transgénérationnel, il faut le traiter. S’il reste en sourdine, s'il est refoulé ou encore banalisé, il filtrera au travers de nos mots, nos peurs ou nos comportements. Un travail avec un psychologue spécialisé peut s'avérer très bénéfique. Se délester de ses traumas est un chemin qui peut s'avérer difficile à mener, car travailler sur les difficultés qu’on a connues nécessite forcément de les aborder et de s'y replonger. Mais il est essentiel.
L’enfant intérieur blessé ne doit plus être aux commandes. Il est essentiel de prendre sa place d’adulte responsable, acteur de sa vie qui pourra dire à haute voix : je peux rompre avec mes schémas, je peux rompre avec cette construction de moi fondée sur la peur ou certaines croyances…
Comment réagir si on voit que son parent laisse ses traumatismes affecter notre relation ? Comment dire stop ou l’aider à prendre conscience de son comportement ?
Aider un parent reste difficile. Ce n'est pas à l'enfant de sauver son parent. Bien sûr, il est toujours possible d'attirer son attention sur sa problématique, mais la prise en charge commence nécessairement par une prise de conscience personnelle.
"Parler pour tenter, peut-être, de le sortir de la forme de déni où il se trouve"
Et comment aborder le problème lorsqu’on voit un ami ou un membre de la famille laisser sa relation avec ses enfants être affectée par ses traumas ?
Si vous remarquez qu’un proche laisse ses traumatismes transparaître dans sa relation avec son enfant, je conseille de parler pour tenter, peut-être, de le sortir de la forme de déni où il se trouve quant à son trauma et ses actions. Ne pas avoir conscience de la reproduction ne lui permet pas de se faire aider.
Toutefois, il faut se préparer : il n’entendra probablement pas immédiatement.
Mais c’est bien en acceptant de reconnaître nos difficultés que nous faisons preuve de force, et que l’on peut éviter la reproduction ou la transmission des traumas. Parler de soi et de ses difficultés, ce n’est pas être fragile, c’est être sensible.