Quelles sont les personnes et les situations à risque ?
Un certain nombre de situations requièrent des précautions lors de l’utilisation des morphiniques forts.
C’est bien sûr le cas de l’hypersensibilité à la morphine, mais il faut faire attention en cas d’insuffisance hépatique (diminution de l’élimination), d’insuffisance rénale (risque d’accumulation des dérivés actifs glucuronoconjugués), d’insuffisances respiratoires (risque majoré de dépression respiratoire).
En cas d’hypertension intracrânienne et en l’absence de ventilation contrôlée, il existe un risque d’augmentation du taux de CO2 qui risque d’aggraver les lésions cérébrales. Il faut se méfier de la péthidine en cas d’épilepsie non contrôlée.
Il faut demander l’avis du chirurgien en cas de douleur abdominale aiguë avant d’administrer de la morphine, en particulier si le diagnostic de la douleur est incertain.
Quels sont les principaux effets secondaires ?
De nombreux effets secondaires existent au cours de la prescription d’opioïdes forts mais beaucoup peuvent être anticipés.
• La constipation est constante et dépendante de la dose d’opioïdes forts (« dose-dépendante »).
La constipation est de plus aggravée par les sédatifs, les troubles métaboliques, l’immobilisation et certaines localisations des tumeurs (colonne vertébrale, ventre et pelvis).
La prescription d’un laxatif fait donc partie d’emblée de l’ordonnance d’opioïde fort : macrogol (Forlax®, Transipeg 5,9® ou Movicol®) et elle peut être complétée par la prescription de mucilages.
Si la constipation persiste plus de 3 jours, il faut vérifier l’ampoule rectale à la recherche d’une accumulation de matières fécales (« fécalome »), proposer un lavement (Normacol®) et augmenter la dose de macrogol (Colopeg® : 500 à 1 000 ml/24 heures).
• Les nausées et les vomissements sont dus à une stimulation du système nerveux central et à un retard de la vidange gastrique. Ils s’observent dans un tiers des cas au début du traitement, avec une nette susceptibilité individuelle, même avec de faibles doses d’opioïdes. Ils s’atténuent vite cependant et disparaissent en quelques jours grâce au « phénomène d’accoutumance » (ce qui n’est pas le cas de la constipation).
On peut éventuellement associer initialement du métoclopramide (Primpéran®) ou de faibles doses d’halopéridol (Haldol® : 1 à 5 mg/× fois/24 heures). Les « setrons », type ondansetron, ne sont pas efficaces et aggravent la constipation. Le mieux est souvent de changer d’opioïde.
La persistance des vomissements au-delà d’une semaine ou après changement d’opioïde doit faire rechercher une cause cachée, notamment des métastases d’un cancer au péritoine (« carcinomatose péritonéale »).
• Une somnolence diurne peut s’observer en début de traitement et elle s’améliorera avec l’adaptation du traitement. De discrets troubles cognitifs sont très fréquents si on les recherche précisément par quelques questions du Mini Mental Test. Les troubles confusionnels posent problème car ils s’accompagnent de perturbations émotionnelles, d’hallucinations, de complications somatiques (fièvre, chutes, déshydratation). C’est une indication majeure du changement d’opioïde.
• La dépression respiratoire est exceptionnelle avec un traitement opioïde oral. Il n’y a donc pas de contre-indication à utiliser les opioïdes forts par voie orale chez un patient atteint de BPCO et de cancer bronchique. Les « hypercapnies » représentent une situation de prudence exigeant une titration précise.
La voie parentérale est davantage à risque de surdosage (bolus), mais la dépression respiratoire est annoncée par des signes neurologiques de surdosage : troubles de conscience, myoclonies. Une bradypnée inférieure ou égale à 8 cycles par minute est un index d’alerte.
• Le myosis est constant, mais a peu de conséquences.
• D’autres effets secondaires sont plus rares, à bien connaître cependant : rétention urinaire, prurit, sueurs, hypotension orthostatique, hyperalgésie cutanée, syndrome de sevrage lors de l’arrêt brutal à l’occasion d’un événement intercurrent.
Comment arrêter un traitement par opioïdes forts ?
Il ne faut pas arrêter brutalement un traitement chronique par un morphinique fort afin d’éviter un « syndrome de sevrage ».
Le syndrome de sevrage peut survenir quelques heures après l'arrêt brutal d'un traitement prolongé ou après administration d'un antagoniste. Il est lié en partie à une hypersensibilité des récepteurs noradrénergiques et associe des signes neurovégétatifs.
Il débute par des bâillements, une mydriase, un écoulement nasal (« rhinorrhée »), des sueurs, des larmoiements, puis apparaissent une agitation, une insomnie, des tremblements, des contractions musculaires (« myoclonies »), des douleurs musculaires et articulaires, une alternance de bouffées de chaleur avec vasodilatation et de frissons avec piloérection, une anorexie, des vomissements, des diarrhées, des crampes abdominales, des éjaculations spontanées, une polypnée, une tachycardie et une hypertension.
La sévérité du syndrome de sevrage dépend du métabolisme de la substance, de la dose journalière et de la régularité des prises, de l’ancienneté de la prise et de facteurs psychologiques. Il dure de 5 à 10 jours sans traitement et peut être soulagé par la clonidine et les neuroleptiques.
Que faire en cas de surdosage ?
Le tableau de surdosage associe une somnolence suivie d’une dépression respiratoire, d’un myosis, d’une hypotension, puis d’un coma profond avec hypothermie.
Son traitement en milieu spécialisé impose une réanimation cardio-respiratoire et l'administration d'un antidote antagoniste compétitif des récepteurs avec la naloxone par voie intraveineuse (Narcan®, ampoules 0,40 mg/ml) avec une dose initiale de 0,40 mg en 1 minute IV. Une forme nasale est en préparation pour les surdosages au cours des toxicomanies.
Puis, le relais est pris par une dose de 0,10 mg par minute jusqu’à restauration d’une ventilation efficace, au prix d’ailleurs d’une reprise hyperalgique et d’une angoisse importantes.