Il y a quelques années encore, le grand public n’avait jamais entendu parler de la maladie de Crohn. Mais ces derniers temps, surtout dans les pays européens, de plus en plus de personnes se plaignent de cette maladie auto-immune à l’origine d’une inflammation chronique de l’intestin. On observe également une augmentation du nombre de cas de rectocolite hémorragique, autre maladie inflammatoire chronique de l'intestin. Jusqu’ici, la science n’avait pas vraiment été capable de déterminer pourquoi. Aujourd’hui, une étude apporte un regard neuf sur ces maladies inflammatoires. D’après un papier, paru le 27 novembre dans la revue Trends in Immunology, les mutations génétiques nous permettant de repousser les infections mortelles nous auraient en contrepartie rendus plus vulnérables aux maladies inflammatoires et auto-immunes.
Les chercheurs néerlandais Dominguez-Andres et Mihai Netea ont compilé des données provenant d'études génétiques, immunologiques, microbiologiques et virologiques et ont déterminé comment l'ADN de personnes appartenant à différentes communautés infectées par des maladies bactériennes ou virales s’était modifié pour permettre une inflammation.
Cette dernière étant l'une des meilleures défenses de l'organisme contre les maladies infectieuses, ces changements ont compliqué l’infection de certains agents pathogènes pour ces communautés. Avec le temps, ils ont toutefois donné lieu à de nouvelles maladies auto-immunes et inflammatoires comme Crohn mais aussi le lupus.
“Nous souffrons ou bénéficions des défenses construites dans notre ADN par le système immunitaire de nos ancêtres”
“Dans le passé, la durée de vie des gens était beaucoup plus courte, de sorte que certaines de ces maladies inflammatoires et auto-immunes qui peuvent apparaître dans la seconde moitié de la vie n'étaient pas si pertinentes, explique Jorge Dominguez-Andres. Maintenant que nous vivons beaucoup plus longtemps, nous pouvons voir les conséquences des infections qui sont arrivées à nos ancêtres.”
“Il semble y avoir un équilibre. Les humains évoluent pour construire des défenses contre les maladies, mais nous ne sommes pas en mesure d'empêcher la maladie de se produire, de sorte que le bénéfice que nous obtenons d'une part nous rend également plus sensibles aux nouvelles maladies, d'autre part, poursuit-il. Aujourd'hui, nous souffrons ou bénéficions des défenses construites dans notre ADN par le système immunitaire de nos ancêtres qui combattent les infections ou s'habituent à de nouveaux modes de vie.”
Par exemple, les personnes ayant des restes d’ADN néandertalien ont tendance à être plus résistantes au VIH-1 et aux infections à staphylocoque. En contrepartie, elles sont plus susceptibles de développer des allergies, de l'asthme et le rhume des foins.
Les améliorations en terme d’hygiène ont entraîné une réduction des infections
Les effets néfastes des évolutions du système immunitaire de chaque population sont relativement récents. “Nous savons un certain nombre de choses sur ce qui se passe au niveau génétique chez nos ancêtres, mais nous avons besoin d'une technologie plus puissante. Ainsi, le séquençage de nouvelle génération est en train de se développer et nous permet d'étudier l'interaction entre l'ADN et les réponses de l'hôte à des niveaux beaucoup plus profonds”, déclare Dominguez-Andres.
Cette technologie permet également de montrer comment notre système immunitaire évolue en temps réel à cause des changements du mode de vie actuel. Les tribus africaines qui pratiquent encore la chasse ont par exemple une plus grande diversité intestinale bactérienne que les Afro-Américains qui vivent en ville et mangent des produits achetés en grande-surface.
Qui plus est, de nombreuses améliorations concernant l’eau potable ou la collecte des ordures ont eu lieu au cours des deux derniers siècles, entraînant une réduction de l’exposition aux agents pathogènes infectieux. Au fur et à mesure que les humains privilégient des aliments transformés et des normes d'hygiène plus strictes, leur corps s'adapte en développant les “maladies de civilisation”, comme le diabète de type 2.
Les modes de vie peuvent influencer les réponses immunitaires
Aujourd’hui, les chercheurs comptent étendre leurs recherches aux communautés non-eurasiennes ou africaines. “Jusqu'à présent, toutes les études que nous avons menées se sont concentrées sur les populations d'origine européenne et africaine, mais elles doivent également être étendues aux populations autochtones et autres afin d'améliorer la représentation de la diversité génétique humaine”, explique Dominguez-Andrés. Et de conclure : “Les modes de vie et la nature écologique peuvent vraiment différer et influencer les réponses immunitaires. Il y a donc encore du travail à faire.”
Généralement, les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), Crohn et la rectocolite hémorragique (RCH), sont diagnostiquées chez des personnes jeunes, de 20 à 30 ans. En France, la RCH toucherait environ 80 000 personnes. Cette maladie peut atteindre le rectum et le côlon (gros intestin) et évoluer sous forme de poussées (alternance de phases d’activité et de rémission). Outre les symptômes intestinaux douloureux, les malades peuvent souffrir de rhumatisme articulaire, de lésions cutanées ou encore d'une inflammation des structures internes de l’œil.
A l’heure actuelle, cette maladie est plus facilement repérable que Crohn, qui, elle, met beaucoup de temps à se diagnostiquer en raison du manque de symptômes spécifiques. Très handicapante, Crohn, qui affecterait aujourd'hui officiellement 120 000 personnes en France, se caractérise par une diarrhée parfois abondante et liquide, avec éventuellement une perte de sang et du mucus ou du pus dans les selles. Celle-ci s’accompagne souvent de terribles douleurs abdominales. Quand l'anus est touché, des fissures, des abcès et des fistules peuvent survenir. Les malades souffrent aussi parfois de fièvre, d’un amaigrissement et d’une grande fatigue.