Chaque année, la dépression touche plus de 2 millions de personnes en France. Elle se soigne souvent par des traitements antidépresseurs. Malheureusement, ces derniers ne fonctionnent pas pour un patient sur cinq. Les raisons de ce manque de réponse restent encore mal comprises aujourd’hui. Une nouvelle étude pourrait toutefois bien changer la donne. Un consortium de chercheurs et de cliniciens coordonné par le professeur Gustavo Turecki (Institut universitaire en santé mentale Douglas et université McGill, au Canada) et soutenu en France par la Fondation FondaMental, a découvert le rôle du gène GPR56 dans la réponse aux antidépresseurs et les mécanismes physiopathologiques de la dépression. Pourquoi docteur a interrogé le premier auteur de l’étude, parue dans la revue Nature Communications. D’après Raoul Belzeaux, psychiatre à l’Assistance Publique Hôpitaux de Marseille et chercheur à l’Institut de neurosciences de la Timone (Aix-Marseille université/CNRS), ces résultats sont “une source d’espoir car ils représentent une possibilité de développement de nouvelles pistes”.
“Identifier de nouvelles stratégies thérapeutiques est un enjeu majeur pour un grand nombre de patients. Quand on prescrit un traitement antidépresseur, on le fait un peu par expérience, par habitude, et surtout, malheureusement, par hasard. Dans les faits, on n’est jamais sûr d’attribuer le bon traitement à la bonne personne car on connaît mal les différents mécanismes d’action d’un médicament à l’autre, explique-t-il tout d’abord. Pour comprendre et découvrir de nouvelles pistes sur leur fonctionnement, on est parti d’études cliniques de patients qui recevaient un placebo ou différents types d’antidépresseurs. On a utilisé des techniques de génomique pour essayer d’identifier des gènes qui variaient, sans avoir d’a priori. C’est comme ça qu’on a découvert GPR56”, poursuit le chercheur.
GPR56 est un récepteur particulièrement complexe impliqué dans de nombreux processus biologiques dont la neurogenèse (formation des neurones) et la maturation du cerveau, la maturation des astrocytes mais aussi l’activation du système immunitaire. S’il s’agit d’un gène connu, il ne l’est pas encore dans le domaine de la psychiatrie.
La région du cortex frontal cérébral particulièrement touchée
“On a pu voir dans trois études différentes, incluant un total de 400 patients, que beaucoup d’antidépresseurs activaient GPR6 chez les patients réactifs au traitement”. En revanche, quand la molécule ne s’activait pas, rien ne changeait chez les malades, développe le docteur Belzeaux. GPR56 ne s’activait pas non plus chez ceux à qui on avait administré un placebo.
Pourtant, jusque-là, il ne s’agissait que d’observations : aucun lien de cause à effet n’avait pu être prouvé. “Cependant, avec des modèles animaux, on a pu modifier l’activité du gène. Résultat : si on augmente le GPR56 dans le cortex frontal, avec des agents pharmacologiques ou des modifications génétiques, on obtient un effet antidépresseur. En revanche, si on le diminue ou l’inhibe, on observe un effet dépressogène chez les rongeurs”, explique le psychiatre, évoquant les travaux menés par Eleni Tzavara, médecin et directrice de recherche à l’Inserm qui a grandement collaboré à ce projet. Ainsi, “l’hyporéactivité de GPR56 pourrait donc bien être un mécanisme potentiel de la résistance aux traitements”.
“L’implication du cortex frontal est intéressante, car cette zone est très importante dans la prise de décision, la régulation des réactions émotionnelles ou encore la cognition, c’est-à-dire la capacité à analyser et à filtrer ses émotions”, précise Raoul Belzeaux.
“GPR56 est un biomarqueur sanguin facile à mesurer”
S’il semble que tous les antidépresseurs agissent via ce mécanisme, cela reste encore à prouver. “Il y a une quarantaine d’antidépresseurs disponibles en France, c’est très vaste. L’effet de GPR56 ne semble pas être un mécanisme ultra spécifique, ce qui est plutôt intéressant”, se félicite le psychiatre. Aussi, même si “ce n’est pas tous les jours que l’on arrive à décrire de façon assez robuste un mécanisme pharmacologique possible pour trouver une molécule”, la route est encore longue avant d’arriver au traitement infaillible pour les patients aujourd’hui résistants aux antidépresseurs.
Désormais, la feuille de route est composée de trois étapes. La première devrait être la plus rapide et pourrait être terminée d’ici quelques années. “Le principal intérêt de notre découverte réside notamment dans le fait que GPR56 est aussi un biomarqueur sanguin facile à mesurer, explique le docteur Belzeaux. Comme on peut mesurer GPR56 dans le sang, peut-être que ça pourra servir à suivre biologiquement la réponse des patients aux antidépresseurs.”
“On pourrait donc déterminer l’éventuel intérêt des prises de sang. Nous avons obtenu un financement international avec nos collaborateurs canadiens et espagnols (Projet ANTARES, ERA-NET Neuron, piloté par E Tzavara) pour mesurer les variations biologiques dans les premiers jours suivant le début d'un traitement antidépresseur. Ces dernières se manifestent bien avant les variations cliniques qui, elles, apparaissent parfois plusieurs semaines après. On testera donc un certain nombre d’hypothèses, dont GPR56. Cela permettra de dire au patient : ‘En une semaine vous n’avez pas eu de variation de gène, c’est de mauvais pronostic. Il faut donc changer de stratégie’”, détaille le psychiatre.
En parallèle, les chercheurs pourront peut-être donc comprendre pourquoi certains patients n’arrivent pas à activer le gène GPR56 quand ils prennent des antidépresseurs. “Ça peut être des causes génétiques ou épigénétiques : est-ce que le gène, modifié par des expériences de vie négatives, est devenu trop ‘rigide’ pour être stimulé malgré les antidépresseurs ?”, avance Raoul Belzeaux.
Une nouvelle cible médicamenteuse
La deuxième étape devrait prendre un peu plus de temps puisqu’il s’agit de cibler pharmacologiquement GPR56. Une première stratégie serait celle du repositionnement de médicaments déjà connus. “On peut analyser de nombreux médicaments aujourd’hui disponibles sur le marché et chercher ceux qui pourraient stimuler GPR56. Si on en trouve qui n’appartiennent pas déjà à la famille des antidépresseurs, cela pourrait permettre d’introduire de nouveaux médicaments dans la pharmacopée de la dépression. En quelques années, on pourrait développer l’utilisation d’un médicament déjà connu pour autre chose et l’essayer rapidement en clinique sans passer par les étapes de développement de nouvelle molécule. Si on connaît déjà un médicament, on connaît sa dose efficace, ses risques et ses interactions”, poursuit le chercheur.
La troisième étape en revanche prendra sans doute bien plus de dix ans puisqu’il s’agira de développer des nouvelles molécules. “L’industrie génère de nombreuses molécules qui n’ont jamais été testées sur l’homme. Or, ce n’est pas parce qu’une molécule fonctionne bien in vitro que ses effets vont être bien tolérés chez l’homme et qu’elle sera utilisable”, explique Raoul Belzeaux.
Ainsi, cette découverte au sujet de GPR56 dévoile non seulement un mécanisme jusque-là inconnu des antidépresseurs, mais elle offre également une nouvelle cible médicamenteuse. “Si on découvre des composés pharmacologiques qui agissent sur ce récepteur, cela pourrait permettre de créer des nouveaux antidépresseurs. Pour l’instant, les molécules disponibles agissent principalement sur le transporteur de la sérotonine. Mais des molécules ciblant GPR56 pourraient peut-être très bien fonctionner dans le traitement de la dépression”, conclut le chercheur, plein d’espoir.