- L'essai européen Discovery doit tester 5 traitements potentiels pour soigner Covid-19
- La France a quasiment recruté son quota de patients mais d'autres pays d'Europe sont à la traîne
- Au final, cet essai pourrait s'appuyer essentiellement sur le panel français
“Chaque pays a travaillé pour lui, et on a beaucoup de mal à coopérer”. Alors que les résultats de l’essai européen Discovery, lancé le 22 mars par le consortium européen Reacting, pour comparer cinq traitements contre le Covid-19, dont quatre expérimentaux, sont très attendus -Emmanuel Macron a déclaré le 4 mai qu'ils pourraient être annoncés le 14 mai-, les choses ne se passent pas comme prévu. Dans un entretien au Monde, Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Bichat (Assistance publique-Hôpitaux de Paris, AP-HP), membre des deux instances nommées par le gouvernement pour éclairer ses décisions sur le Covid-19, et directeur de Reacting, a déploré le manque de coordination entre les Européens dans lesquels l’essai devait être avoir lieu. Cette situation s’explique notamment par la forte concurrence dans les recherches contre le Covid-19. Rappelons que 1 605 essais cliniques ont actuellement lieu aux quatre coins du globe, dont 36 en France.
A l’origine, Discovery était censé être mené sur 3 200 patients dans huit pays européens : France, Espagne, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg et Royaume-Uni. Cependant, d’autres Etats comme l’Italie et le Portugal ont également fait part de leur désir de s’y greffer. Dans le détail, les sujets suivis devraient être répartis en cinq groupes. Le premier groupe recevra des soins classiques, sans molécule expérimentale. Le deuxième se verra administrer le remdesivir, un antiviral expérimental initialement développé par l’américain Gilead contre Ebola qui vient d’être autorisé en urgences aux Etats-Unis par la FDA, et le troisième une combinaison de deux antiviraux, lopinavir/ritonavir (vendu sous le nom Kaletra), utilisé contre le VIH, tandis que le quatrième reprendra cette association, à laquelle a été ajouté l'interféron bêta, des molécules du système immunitaire. Enfin, le cinquième groupe testera l’hydroxychloroquine, avant ou après la mise sous oxygénation, développée en France par le professeur Didier Raoult.
Toutefois, si la France, où l’étude est coordonnée par l’Inserm, a recruté 730 patients sur son quota de 800, le processus traîne dans de nombreux pays européens qui devaient rejoindre l’aventure. Au Luxembourg, le premier patient, sur 60 espérés, n’a été recruté que le 30 avril tandis qu’en Allemagne, en Autriche ou au Portugal, “les discussions sont toujours en cours, car il y a d’autres protocoles développés localement, explique Yazdan Yazdanpanah. On rencontre des problèmes en raison des régulations différentes des essais cliniques selon les pays”, développe-t-il, rappelant l’importance “d’avoir un réseau européen pour disposer de résultats à grande échelle plus rapidement”.
“Nous ne lâchons pas”
Du côté du Royaume-Uni, si des cliniciens ont voulu rejoindre l’essai, “le National Health Service (NHS), qui coordonne la santé publique au Royaume-Uni, a décidé qu’il leur fallait rester sur un seul protocole”, explique Yazdan Yazdanpanah. L’Espagne et l’Italie ont quant à elles rejoint l’essai Solidarity, “lancé par l’Organisation mondiale de la santé à l’échelle internationale, avec des critères méthodologiques moins contraignants, mais sur les mêmes traitements”. Ainsi, tout n’est pas perdu : “On pourra mettre en commun les données essentielles de Discovery et de l’OMS, car les protocoles sont quasiment similaires”, assure Yazdan Yazdanpanah.
En Belgique enfin, les chercheurs qui espéraient pouvoir participer à Discovery ou à Solidarity n’ont pas pu le faire et s’inquiètent des conséquences pour leurs patients atteints du coronavirus. “Nous ne lâchons pas, insiste Yazdanpanah. Nous sommes en discussion avec la Commission européenne pour tenter d’améliorer les choses.”
Etonné l’urgence de la situation, les patients qui participent à Discovery sont au courant du traitement qu’ils reçoivent. Cet essai “a été conçu pour pouvoir s’adapter à l’évolution des connaissances sur la maladie. Si on doit arrêter un traitement parce que d’autres équipes auront montré qu’il ne fonctionne pas, nous le ferons”, précise le chercheur. Toutefois, c’est un comité spécifique international indépendant qui en décidera. Ce dernier s’est réuni “pour plusieurs points d’étape, à 100 patients, 400 et, bientôt, à 700 patients arrivés à 15 jours de traitement”, détaille-il.
On ignore encore la date des premiers résultats de l’étude
Quant à la date à laquelle les premiers résultats devraient tomber, “tout dépend des molécules testées”, explique Yazdanpana. “Si l’effet est mineur, il faudra avoir enrôlé beaucoup plus de patients pour pouvoir le mesurer que si l’efficacité est forte. Il faudra aussi tenir compte de la toxicité de ces molécules pour évaluer la balance bénéfice-risque”, conclut-il.
Si la coordination entre les pays européens n’est pas telle qu’on aurait pu l’espérer, tous les scientifiques ne désespèrent pas pour autant. “Le fait de travailler en équipe au niveau européen aurait pu permettre d’aller plus vite mais le fait que ce soit une étude essentiellement française ne va rien enlever à sa qualité et on aura des données très solides”, assure Stéphane Gaudry, professeur de médecine intensive réanimation à l'hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis) à France 2.
En attendant d’en savoir plus, rappelons que les premiers vaccins contre le coronavirus, à l’étude notamment à l’Institut Pasteur, pourraient être testés sur des patients d’ici cet été.