- La France se classe huitième sur 21 concernant la mortalité durant la première vague de coronavirus, entre février et mai.
- Selon les chercheurs de l'Ined et de l'Imperial College de Londres, les mauvais classements se basent surtout sur les défaillances du système de santé et sur la rapidité avec laquelle a été instaurée le confinement.
- La différence entre le nombre de décès d'une année “normale” dans ces pays et ceux engendrés par le coronavirus est de 206 000 morts, soit autant que ceux du cancer du poumon sur une année.
La première vague de coronavirus, qui a sévi dans le monde de février à mai, a laissé des traces. Des systèmes de santé épuisés, une économie moribonde et un million de morts plus tard, l’heure est au bilan, avant d’affronter la seconde vague de la pandémie. Une étude menée par l’Imperial College de Londres (Royaume-Uni), en partenariat avec l’Institut national d’études démographiques (Ined), et publiée dans la revue Nature Medicine, fait le tour de la mortalité en intégrant la part causée par la Covid-19. Dans ce classement des pays industrialisés, la France arrive huitième sur 21, toutes causes de mortalité confondues. L'Hexagone se situe derrière l'Angleterre, l'Espagne, l'Italie, l'Ecosse, la Belgique, les Pays-Bas et la Suède, mais devant le Portugal, la Suisse et l'Autriche.
Dans leur méthodologie, les chercheurs n’ont mis en avant que les pays industrialisés de plus que quatre millions d’habitants, et ont basé leur tableau sur les chiffres hebdomadaire de la mortalité entre la mi-février et la mi-mai. Comme le souligne l’étude, les conséquences de la pandémie de Covid-19 ne se limitent pas au million de morts au niveau mondial. Pour bien apprécier l’influence du coronavirus à l’échelle planétaire, il est indispensable de prendre en compte les décès liés aux autres maladies qui n’ont pu être traitées durant la pandémie. Enfin, les systèmes de santé et l’économie ayant été mis à rude épreuve par la pandémie, les conséquences sociales sont également un autre facteur à intégrer à ces données.
Plus de 200 000 morts supplémentaires à cause de la Covid-19
L’équipe de recherche a produit un tableau des répercussions du coronavirus dans chaque pays. Dans un premier temps, ils ont utilisé différents modèles statistiques afin d’estimer le nombre de décès qui se seraient produits entre la mi-février et la mi-mai si ces pays n’avaient pas été frappés par la pandémie. Ces chiffres ont ensuite été comparés au nombre de morts réels durant cette période, afin d’estimer le bilan de la mortalité causée par la première vague de Covid-19.
Entre la mi-février et la fin du mois de mai, 206 000 morts supplémentaires ont été relevés dans ces 21 pays, par rapport aux niveaux attendus si la pandémie ne les avait pas frappés. Ce chiffre (206 000) correspond sur une année normale au nombre total de décès imputables au cancer du poumon, et il représente également plus du double de ceux liés au diabète ou au cancer du sein.
“La pandémie a affecté la vie et la santé des personnes de nombreuses manières différentes. Par exemple, certaines ont pu voir leur opération ou traitement repoussé, ou ont pu perdre l’aide sur laquelle ils comptaient pour leurs besoins médicaux courants, commente Vasillis Kontis, docteur à l’Imperial College de Londres et premier auteur de l’étude. En prenant ces facteurs en compte, l’étude des seuls décès par Covid-19 est trop limitée ; l’étude des décès toutes causes confondues nous permet de mieux comprendre la façon dont les pays ont géré la pandémie et dont ils ont pris soin de la santé de leur population pendant les mesures de confinement.”
L’étude nous apprend que la France peut être considéré comme un pays ayant moyennement ressenti les conséquences du coronavirus, notamment sur le nombre de morts. L’Hexagone a enregistré environ 35 décès pour 100 000 habitants, soit une augmentation relative des décès de 13%. C’est moins que celle subi par nos voisins belges (27%) mais quasiment deux fois plus qu’en Suisse (7%).
“Les conséquences en France n’ont pas été aussi fortes qu’en Angleterre, en Italie ou en Espagne, mais la France reste quand même au-dessus de la médiane des 21 pays en termes d’excès de mortalité. La France se distingue également comme un pays dont le nombre de décès en excès a été plus faible que le nombre de décès de Covid-19, souligne le docteur Michel Guillot, directeur de recherche à l’Ined et co-auteur de l’étude. Cela suggère qu’il n’y a pas eu de sous-enregistrement majeur des décès de Covid-19 en France, mais également que la pandémie et la réponse en termes de politique de santé ont sans doute généré une baisse des décès dus à d’autres causes. C’est pour cela que la mortalité en excès est une mesure si importante, elle permet de dresser un tableau clair et exhaustif de la façon dont la pandémie a affecté la mortalité, à la fois directement et indirectement.”
Des leçons à tirer en matière de santé publique
A la lumière de ces résultats, les chercheurs estiment que des leçons doivent être tirées de ces résultats afin d’éviter qu’une éventuelle deuxième vague soit aussi meurtrière. C’est notamment le cas pour les mesures de confinement, qui ont été mises en place en France une fois que la pandémie était bien installée dans la population. “Les pays ayant mis en place des campagnes de test et de traçage des cas contacts efficaces et exhaustives au niveau local, ou ceux sans ces systèmes mais ayant mis en place des mesures de confinement précoces et efficaces, ont connu un bilan de mortalité inférieur pendant la première vague, avance Jonathan Pearson-Stuttard, docteur l’Imperial College de Londres et co-auteur de l’étude. Au moment où nous entrons dans la deuxième vague, les programmes de test et de traçage, et le soutien aux personnes qui doivent s’isoler, représentent notre levier le plus important pour minimiser l’influence de la pandémie sur les décès directs de la Covid-19 et les décès dus à d’autres conditions. De tels programmes réduisent aussi le besoin de retourner à des confinements prolongés.”
De même, les principaux pays qui ont été lourdement endeuillés par la Covid-19 sont également ceux qui n’ont pas assez investi dans leur système de santé publique, notamment dans les hôpitaux. “L’investissement à long terme dans les systèmes de santé nationaux est ce qui permet à un pays à la fois de répondre à la pandémie et de continuer à fournir les soins de routine courants dont les gens ont besoin. Nous ne pouvons pas démanteler le système de santé pour cause d’austérité et ensuite s’attendre à ce qu’il prenne soin des gens au moment où le besoin est à son comble, particulièrement au sein des sous-populations pauvres et marginalisées, estime Majid Ezzati, professeur à l’Imperial College de Londres et principal auteur de l’étude. Un système de santé fort et équitable représente la seule solution pour s’attaquer aux inégalités existantes et pour faire en sorte que la nation soit plus résiliente à de futures pandémies.”